Pourquoi ?
C'était la question (lancinante) que posait le premier Rebuild of Evangelion, et à laquelle répond enfin le dernier volet de cette trilogie en quatre épisodes.
Pas "pourquoi tel personnage fait ceci ou cela ?", pas "pourquoi telle ou telle référence biblique ?".
On a vu la série. On sait bien qu'on s'en fiche un peu, de tout ça.
Juste : "pourquoi ressortir Evangelion des tiroirs, près de quinze ans après la bataille, et à plus forte raison sachant le mal qu'il a fait à son créateur ?".
On a d'abord pensé un peu cyniquement "pour introduire l'oeuvre auprès d'un nouveau public", "pour vendre des figurines" ou "pour le plaisir de tout refaire en plus beau". Seulement il se trouvait déjà dans le métrage quelques dissonances, quelques ajouts et modifications qui laissaient deviner, peut-être, un projet plus profond, aux visées moins superficielles - et n'est-ce pas le moins qu'on pouvait attendre de cette licence ? La mer en LCL, l'attitude de certains personnages, le design de certains Anges...
En visionnant le deuxième épisode, on a vu ces soupçons se confirmer avec bonheur, et un poil de perplexité, comme si cet ours mal léché d'Anno avait décidé de faire la paix avec l'humanité (en général) et ses personnages (en particulier), en livrant une version de l'oeuvre défaite de son nihilisme (ou, disons : son fatalisme sociétal, pourtant tout à fait légitime) ; plus lumineuse, aussi, plus optimiste - plus classique, en un sens. Plus inoffensive, par là-même (et ma foi, pourquoi pas ?). On s'est même demandé s'il ne s'agissait pas d'une suite plutôt que d'un reboot : l'intrigue originelle, réécrite par Shinji lors de son plan de complémentarité (cf. épisodes 25 et 26), dont il corrigerait un à un les traumatismes pour que tout soit bien qui finisse bien.
Des hypothèses que le troisième opus a envoyé balader sans ménagement, balayant d'un revers de twist (échevelé) la suite annoncée par le trailer final du 2.22, rangeant l'optimisme au vestiaire pour retomber dans la partition du rejet, de la misanthropie et du désespoir au kilo. De sorte que le "pourquoi" originel a refait son apparition, et qu'on a recommencé à douter. Rebuild a-t-il vraiment un sens ? Une cohérence interne ? Une raison d'être ? Entre ses lignes, le dialogue de Shinji et Kaworu autour du piano semblait le confirmer, parlant autant d'eux que de la série de films elle-même, comme pour en livrer les clés. Par conséquent, c'était quitte ou double : le quatrième volet confirmerait la chose ou, au contraire, sonnerait le glas d'un ravalement de façade purement mercantile.
Et il aura fallu attendre, pour l'avoir, cette réponse.
Mais on a attendu.
Et finalement, on l'a eue.
Pas forcément sous la forme qu'on imaginait, ni dans le sens que l'on aurait souhaité, tout dépend ce qu'on espérait de la licence : des enfants dans des gros robots qui combattent des ennemis venus d'ailleurs (ce qu'Evangelion n'a jamais été, au fond), ou le regard d'Anno sur son oeuvre et la société, à la façon cinéma d'auteur. Toujours cette ambition psychanalytique, mais qu'il retourne cette fois contre lui-même, après l'avoir imposée à son public par série interposée. Ce qui n'est finalement que justice, au fond. Car pouvait-il vraiment se soustraire au Plan de Complémentarité qu'il avait lui-même orchestré, sans en invalider la portée symbolique ? Lui qui prônait l'abolition de nos frontières interpersonnelles s'obstinait à tenir ses personnages à distance - et avec eux, ce qu'ils symbolisaient.
Avec Thrice Upon a Time, à la façon de son alter-ego barbu et taciturne, il livre un spectacle plus schizophrénique encore que ne l'était le 3.33, oscillant entre intimisme intellectualisé (parfait) et grand guignol foutraque assumé (un cran en-deça), des références ésotériques volontairement caricaturales (c'était déjà le cas dans The End of, auquel ce 3.0+1.0 fait écho, alors on en sourit), des morceaux de bravoure visuels hallucinés, un hommage amusant au Yamato qui lui est si cher (jusque dans le soundtrack), des pauses contemplatives pleines de silence, en marge desquelles des mechas hideux se livrent des combats dénués d'enjeu, défaits de toute substance, tout héroïsme (façon Musou), pour le seul plaisir des yeux - et des oreilles, Sagisu Shiro livrant une fois de plus une partition exemplaire.
Tout ça, pour aboutir à la conclusion la plus satisfaisante qu'on pouvait souhaiter à ce quatuor (qui n'en est pas réellement un), la plus touchante, la plus logique, la plus réjouissante - même si on l'aurait préférée encore plus tarabiscotée, dans le genre.
Comme si le 3.33 n'était qu'un détour improvisé, et que ce 3.0+1.0 raccrochait les wagons de ce qui avait été initialement prévu en guise de troisième (et dernier) volet, tout en l'adaptant au substrat intégré par cet épisode hors rails (la première partie du film correspondant parfaitement à ce que le trailer final du 2.22 semblait annoncer, et le développement de Shinji à celui initié dès le 1.0 - brutalement interrompu par une ellipse rien moins qu'inattendue), nous rappelant par là-même que Rebuild était pensé pour être une trilogie, qui se conclut comme telle (la numérotation du titre le confirme) mais sans renier aucun de ses quatre épisodes. Ni la série, du reste. Dévoilant finalement ses cartes et le sens (réel) de son existence.
S'il confirme ou non nos doutes initiaux, nous ne le dirons pas, préférant laisser le spectateur découvrir ce qu'il en est par lui-même. Pas plus que nous ne dévoileront le fin mot de l'histoire, même si nous aurions beaucoup à en dire.
Tout au plus nous déclarerons-nous pleinement comblé (ou pas loin) par ce baroud d'honneur, justifiant tout aussi pleinement l'existence de ces quatre Rebuild. Qu'on reverra avec plaisir, et un petit pincement. Nostalgie de rigueur.
Cette fois, ça y est, Evangelion, c'est terminé. Pour Anno. Pour nous.
Bonjour. Bonsoir. Merci. Au revoir.