Commençons bien, commençons fort, commençons ... Simplement par le début. "Todos lo saben" est donc le film qui fut diffusé hier soir en ouverture du 71e festival de Cannes, et pour ma part je vous dirai que ç'a été une ouverture tout à fait réussie ! Dès les premières images le film nous transporte dans cette Espagne rurale, cette Espagne chaleureuse, qui chante, qui danse, qui rie, qui célèbre l'union de deux personnes à grands renforts de vin et d'amitié. Laura (Pénélope Cruz, tour à tour radieuse puis très convaincante en mère éplorée) y débarque, tout droit venue d'Argentine, accompagnée de ses deux enfants pour le mariage de sa sœur, elle y retrouvera sa famille mais aussi son amour du passé, Paco (Javier Bardem, débordant toujours autant de charisme). Cette introduction, bien qu'un peu surchargée en personnages (il faut un peu s'accrocher pour replacer tout ce beau monde), dégage quelque chose, elle a le goût de l'été qui s'achève et duquel on doit profiter encore autant que possible. Elle est porteuse d'une ivresse collective qui nous contamine et, au même titre que ces (h)ombres sur l'écran, on a envie de se laisser aller aux plaisirs simples de la vie.
Pourtant au milieu des célébrations Irene, la fille de Laura disparaît, dès lors la joie et les rires laissent place aux larmes et à la suspicion. La bonne humeur et l'amitié laissent place à la morosité et aux vieilles rancœurs. Le récit est véritablement ancré dans son environnement, ce village perdu au milieu du vignoble, théâtre des événements, révèle la propension de l'homme à être cachottier, hypocrite, et rancunier. Tout ce que le spectateur a pu observer pendant la phase d'introduction a volé en éclats et le visage de l'Homme a bien changé. S'engage alors une recherche qui paraît vaine, et qui sera d'ailleurs source de quelques chutes de rythme, petit bémol d'un très bon tableau d'ensemble. C'est du climat de suspicion entre les protagonistes que naît la tension. Le kidnappeur est un proche, cela ne fait aucun doute. Sauf qu'incapables de trouver l'auteur du méfait il va bien falloir se résigner à payer la rançon. Mais lorsqu'il s'agit d'argent l'homme à la dent dure, et en l’occurrence surtout le père de Laura, un ivrogne notoire, persuadé que le village entier lui doit le royaume des cieux, Paco le premier. C'est d'Alejandro, le mari de Laura que viendra l'éclaircie, ancien alcoolique
ayant réussi à s'affranchir de son addiction grâce à la naissance d'Irene, bien qu'elle soit de Paco et non de lui,
il symbolise le pardon et la repentance. Le film nous livre alors un très beau récit sur la filiation, et en profite pour nuancer son propos sur la nature humaine, il utilise Paco pour rappeler que les malheurs peuvent également rassembler. Le salut viendra d'ailleurs de Paco, qui vend son vignoble pour payer la rançon. Ce vignoble qu'il est accusé d'avoir acquis pour une bouchée de pain, ce vignoble qui le rendait heureux, qui le faisait vivre, ce vignoble qu'il sacrifie, et sa relation amoureuse avec lui pour le bien d'une enfant.
Mais ces histoires ne finissent jamais vraiment bien. Si Irene est retrouvée ce n'est pas le cas de l'unité familiale. Ce kidnapping ne pouvait venir que d'une personne proche et c'est bien le cas. Pourtant le coupable n'est pas dénoncé au grand jour, on se passera le mot d'individu à individu, en catimini, ajoutant une rancœur de plus au répertoire qui n'attendra que la prochaine occasion pour venir semer le trouble dans les relations familiales.
Si la seconde partie du film n'arrive pas a égaler la qualité de son introduction on n'en prend pas moins beaucoup de plaisir tout du long notamment grâce à des acteurs convaincants et de très belles images.
Ashgar Faradhi donne ici un gros coup de pied à l'image de la famille, et traite avec justesse de la filiation, de l'amour, de ce qu'il peut supporter ou ne le peut, du sacrifice, mais également de ce monde rural, parfois recroquevillé sur le passé et le ressentiment silencieux.
Finalement rien ne change jamais vraiment, tout le monde savait, tout le monde sait, et tout le monde saura. Mais personne n'en parlera, car on ne parle pas de ces choses là.