Attendu depuis des mois, voici probablement le film le plus enthousiasmant de cette rentrée. J'avais déjà été soufflé par l'iconoclaste Swiss Army Man, le retour des Daniels confirme leur talent pour raconter des histoires différemment, s'appuyant sur l'absurde mais sans ironie mortifère. Leur film est un réel plaisir à regarder tant par les références culturelles et cinématographiques dont il regorge que par un montage dynamique et des inventions visuelles et sonores. Leur talent est d'ailleurs de digérer ces influences et d'en construire quelque chose de propre, au-delà de la simple citation. On ressent à chaque plan leur amour du cinéma, avec des références qui vont de Wong Kar-Wai à Indiana Jones, de Matrix à 2001, L’Odyssée de l’espace, de Mario à Jackie Chan …. Mais cet ensemble ne phagocyte jamais l'histoire, et on peut d'ailleurs tout à fait la suivre avec grand plaisir sans reconnaître les références. Le film mélange également les genres, passant de la comédie au film d’horreur, du roman-photo à la romance, de l’action au drame.
Le deuxième point fort du film, c'est cette rupture par rapport au cinéma d'action contemporain : Le film ne joue pas sur l'ironie et sur les clins d'œil aux spectateurs. Everything Everywhere All at once est un film franc et bienveillant, parfois presque candide et en un sens ça fait du bien, en particulier au sein d'une production cinématographique où l'ironie et le désabusement sont devenus une norme sclérosée.
J’avais un peu d’appréhension sur le recours aux les univers alternatifs, mais leur usage ici est assez différent : loin de cacher une faiblesse scénaristique ou de faire du fan service, la multiplicité des univers concilie action, mélange des genres, réflexions philosophique et existentialisme, en opposant la positivité pragmatique d'Evelyn au nihilisme de Jobu Tupaki. Le scénario enchaîne les rebondissements de manière intelligent et crée des liaisons par l'absurde, trouvant toujours la rupture de rythme la plus inattendue : découverte d'une backroom, mise en abyme du film dans un autre univers, doigts saucisses ou encore cette fantastique scène avec des pierres. Oui, avec des pierres et du texte, et c’est super drôle et émouvant.
Enfin j'ajouterais qu'il est agréable de voir un film qui ne fait pas de l'inclusivité une façade marketing opportuniste. Ainsi le premier rôle est donné à une femme asiatique d'âge mûr qui ne cache pas son âge et 3 des 5 rôles majeurs sont des femmes fortes qui n'ont pas besoin de rabaisser les rôles masculins pour exister. Enfin l'homosexualité de Joy il est présentée à la fois comme naturelle mais pas exempte de barrières ou de difficultés.
Je lui reprocherais peut-être un final étiré en longueur, ce qui le rend un brin trop mélodramatique surtout qu'on l'avait vu venir, et des enjeux un peu convenus. Mais la manière de les mettre en scène dans ce joyeux bordel organisé et intelligent compense largement cet aspect.