The Evil Dead est né de l'imagination d'un jeune metteur en scène de vingt-trois ans, élevé aux comic books, portant un amour immodéré à Chuck Jones et aux Three Stooges, auteurs de cartoons et de sketchs hors du commun. Sam Raimi rencontre un comparse important avec lequel il va faire ses premières armes : Bruce Campbell, né, pour l’anecdote dans la même ville et le même hôpital. Tous deux décident de monter des petits films amateurs, qu’ils tourneront en Super 8, le réalisateur ayant déjà réalisé quelques courts dans le plus profond amateurisme, mais avec déjà quelques dispositions. Puis avec l’aide d’un troisième ami, ils commencent à organiser leurs propres projections, avec distribution de soda et de pop-corn à l’entrée, comme de vrais pros, conscients qu’ils doivent attirer l’attention en proposant des séances, puis en glanant sur le vif les réactions du public, le meilleur moyen de savoir ce qui peut fonctionner ou pas à l‘image.
Robert Tapert fait désormais partie de l’aventure et produit les courts-métrages de petits budgets que Sam Raimi et Bruce Campbell s’empressent de réaliser avec des amis de lycée. C’est en 1978 que le cinéaste décide de réaliser un court-métrage plus travaillé, qui pourrait servir de point de départ à un premier long-métrage qui en serait le perfectionnement et le prolongement logique. Ils débutent le tournage de ce qui va devenir Within the Woods, qui reprend la même ébauche de scénario du futur The Evil Dead.
Within the Woods sous le bras, accompagné de ses deux fidèles copains, Sam Raimi parcourt le Michigan, démarche les personnes susceptibles d’être intéressées, frappe à toutes les portes et présente son film. Réactions timides voire indifférentes dans un premier temps. Les coiffeurs, les dentistes, les avocats sont ensuite sollicités, et au terme d’un rendez-vous plus fructueux que les autres, ils obtiennent l’accord de produire un long-métrage.
Le tournage s’étalera sur près de douze mois. Les contraintes de temps et d’argent sont telles que Sam Raimi est parfois obligé de filmer des heures durant la nuit. L’équipe s’octroie de courtes pauses pendant la journée puis recommence le soir. Un train infernal, dont Betsy Baker, Theresa Tilly et Ellen Sandweiss (elle était déjà présente pour Within the Woods), les actrices, se plaignent.
Bruce Campbell est quant à lui dans son élément, même si le tournage s’avère long et difficile et qu‘il doit être interrompu. Entre les prises, lui et Sam Raimi se lancent souvent des blagues, décompressent, et si l’ambiance facilite grandement les choses, le budget serré ne permet pas d’éviter certains problèmes comme ceux posés par les effets de maquillage qui va prendre beaucoup de temps à être mis au point, le système D étant souvent celui choisi par toute l‘équipe pour pallier les manques divers, et l’imagination, souvent débordante, fait le reste.
Tom Sullivan qui était déjà présent sur Within the Woods (au cas où on aurait pas compris que c’est vraiment un film de copain) fera un travail particulièrement remarqué sur les maquillages, notamment dans les festivals.
The Evil Dead sort en 1981 et sans le savoir, le film vient d'entrer dans l’histoire du cinéma. Des spectateurs sortent indignés, d’autres fascinés par ce film étrange qui dépasse leurs attentes et provoque un certain engouement, surtout chez les fans d’horreur qui y voient tout de suite un film emblématique, futur pierre angulaire du genre. On commence à parler du film, qui finit par devenir un sujet de conversation. Certaines personnes retournent voir le film en salle plusieurs fois.
Plus tard, The Evil Dead est projeté au Festival de Cannes où il est très remarqué dans les sections parallèles et défendu par un certain Stephen King :
le film a l’image convaincante d’un documentaire que personne n’a revu depuis Night of the Living Dead de George Romero, un film dont Sam Raimi admet la forte influence. The Evil Dead a le pouvoir simple et stupide d’une bonne histoire de feu de camp, mais sa simplicité n’est pas un effet de bord. C’est quelque chose de délicatement créé par Raimi, qui est tout sauf stupide.
Le film crée un mythe, une icône, incarnée par le personnage de Bruce Campbell. Il contourne, il est vrai, les conventions et les usages du genre avec ses personnages ne donnant de la psychologie qu’à son héros, posant les bases filmiques des années à venir dans le genre.
Les conventions cinématographiques sont aussi contournés avec la mise en scène novatrice de Sam Raimi : cadre dynamité par les travellings, les zooms, caméra virtuose, rôle du premier et du second degré. Le film est l'exact opposé des films fantastiques du moment avec le classicisme de la mise en scène, la longue exposition des personnages, la lenteur du récit et la suggestion.
Ici, il se passe tout le temps quelque chose, le temps mort est banni. L’interaction est totale avec le décor qui sert aux expérimentations visuelles les plus audacieuses. Les mouvements de caméra sont hallucinants, inventif, d’autant plus remarquables pour un premier long-métrage.
Globalement, les vingt dernières minutes résument assez bien les choix esthétiques qui jouent à contresens des usages, dans le sens où le cadrage ne correspond à rien ou presque de ce qui s’était fait jusqu’à alors : le premier plan qui inaugure cette pure folie est celui du travelling à ras de terre de droite à gauche qui part du bout de la pièce pour aller vers la porte qui donne sur l’extérieur, dans lequel Ash sera obligé de faire sortir Linda. Plus tard, ce sont les plans fixes, puis en mouvement du visage de Ash, ceux très serrés se focalisant sur ses yeux, ou sur les bras d’un des possédés rentrant dans la porte pour essayer de le saisir, et enfin ceux le suivant par dessus grâce aux travellings en plongée sur le livre et enfin sur l’explosion finale s’appuyant sur une grammaire empruntant au découpage du comic book.
Les dernières minutes empruntent l’animation image par image chère à Ray Harryhausen à qui Sam Raimi rend un vibrant hommage. La caméra scotchée au corps qui tombe de toute sa hauteur et qui se désagrège sur le sol apporte un visuel dérangeant. Elle est due à Tom Sullivan (encore lui) et à Bart Pierce qui s’occupe des trucages optiques.
Bien entendu, ce final si bien filmée, ce décalage entre la banalité des débuts et le chaos horrifique de la fin ne seraient rien ou presque sans la composition bluffante de Bruce Campbell, qui cabotine tout en restant le plus crédible possible. La caméra qui s’accroche aux moindres mouvements de cils nécessitait un acteur de sa trempe, qui sache s’investir sans compter. Un bel exemple de collaboration réalisateur / acteur, de deux amis.