Évolution est un film de science-fiction horrifique franco-belgo-espagnol révélé le 14 septembre 2015 lors du Toronto International Film Festival puis diffusé dans les salles françaises à partir du 16 mars 2016. Deuxième long métrage de la réalisatrice, monteuse, scénariste et productrice Lucile Hadzihalilovic après le prometteur Innocence datant de 2004, il fut notamment encensé lors du 23ème Festival du Film Fantastique de Gérardmer, véritable institution du cinéma de genre, où il remporta à la fois le prix du jury et celui de la critique.


Ce qui n’est pas étonnant tant le travail de la lyonnaise semble avoir marqué les esprits : on en retrouve des traces dans le Lost River d'un Ryan Gosling passé derrière la caméra mais surtout chez Hélène Cattet et Bruno Forzani qui ont su développer un style beaucoup plus proche du sien que de celui de Gaspar Noé ; Gaspar Noé avec qui Lucile Hadzihalilovic fonda la société de production Les Cinéma de la Zone, à laquelle nous devons nombre de monuments de subversion tels que Carne, Seul contre tous, Irréversible, Enter the Void ou plus récemment Love, et dont elle se servit pour financer l'excellent moyen métrage La bouche de Jean-Pierre, sorti en 1996.



Métrage étrange



Le fait qu'Évolution soit avare en informations ne constitue pas un problème en soi, dans la mesure où il fait partie de ses œuvres qui se ressentent plus qu'elles ne se comprennent. Son récit est, par exemple, raconté du point de vue subjectif d'un pré-adolescent qui, à l'aube de la puberté, éprouve des difficultés à appréhender le monde qui l'entoure ou, du moins, avec une innocence propre à cet entre deux âges. Or, ne tardent pas à poindre ses premières visions d'horreur.


De surcroît, Évolution est, justement, un film d'horreur. C'est en tout cas l'avis partagé par une majorité de spectateurs. Néanmoins, ladite majorité ne semble pas le trouver effrayant pour un sou mais plutôt dérangeant, malsain ; ce qui m'amène à penser qu'elle confond le cinéma d'horreur avec le cinéma d'épouvante, quand l'un cherche provoquer une sensation de répugnance, de répulsion face à des éléments graphiques aléatoires (monstruosités, effets gores, matières et textures dégoûtantes...) tandis que l'autre, davantage basé sur l'installation d'ambiance, a pour vocation de faire vivre un cauchemar jusqu'à rendre fou.


Seulement, Évolution brouille les pistes, faisant référence à des œuvres aussi variées que L'Invasion des profanateurs de Jack Finney et Le père truqué de Philip K. Dick, deux matériaux littéraires de années 1950 décrivant des possessions de corps humains par une forme de vie extraterrestre, Les Révoltés de l’an 2000 de Narciso Ibañez Serrador, digne représentant du cinéma espagnol après-franquiste se déroulant sur une île où les enfants sont livrés à eux-mêmes, ayant tués tous les adultes, sans oublier Le Cauchemar d'Innsmouth, nouvelle de l'auteur américain Howard Phillips Lovecraft parue en 1936, source d'inspiration principale en terme d'atmosphère et de thèmes abordés. Quoi qu'il en soit, cette richesse d'inspirations mobilise un large spectre d'émotions tout en évitant de rendre Évolution diffus.


En réalité, il s’agit même de l'inverse. L'absence quasi-systématique de dialogues voulue par Lucile Hadzihalilovic accompagnée à l'écriture d'Alanté Kavaïté, artiste lituanienne révélée en 2015 grâce au long métrage Summer, appuie évidemment cette idée, mais il s'agit surtout d'une affaire de "show, don't tell", "montrer, ne pas dire", un principe fondamental du septième art comprenant l'aspect visuel de ce dernier comme premier vecteur de sens. Et c'est là qu'intervient le belge Manuel Dacosse, chef opérateur attitré d'Hélène Cattet et Bruno Forzani, parce que le monde est petit.


Sans jamais recourir aux images de synthèse, uniquement à des outils manipulateurs de regard dont la sobriété n’a d’égal que leur efficacité (parmi eux le clair-obscur, la faible profondeur de champ ou encore la multiplication des plans fixes à la composition millimétrée), ainsi qu’à des lumières et couleurs naturelles, Manuel Dacosse développe une photographie sombre et oppressante, mystérieuse et organique, qui dissimule plus qu’elle ne dévoile, donnant à voir Évolution comme un métrage volontairement énigmatique ; le but avoué étant non pas que le cinéphile autant que le profane s'étiolent à en saisir toutes les subtilités mais qu'ils vivent une expérience sensorielle pendant un peu plus d'1h20.


Pour autant, toutes les œuvres cinématographiques ont pour vocation de provoquer une réaction émotionnelle chez le spectateur. À des degrés différents, certes, mais cela n’a rien de spécifique à Évolution. Et le ressenti étant indissociable de la compréhension, demeurer actif pour l’apprécier à sa juste valeur est fortement recommandé.


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le 15 déc. 2017

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