Cronenberg nous livre ici un film assez audacieux, tant par l’univers qu’il crée que par la dénonciation du caractère néfaste des jeux virtuels qu’il illustre ici par l’exemple. La dénonciation convainc, illustrant avec force et intelligence la schizophrénie et la folie dans lesquelles nous entraînent irrémédiablement cette seconde réalité, qui est un moyen pour le joueur de s’extraire de celle dans laquelle il vit pour vivre la vie d’un autre dans un autre monde, seconde réalité qui s’érige en religion où l’homme se fait dieu, point sensible très bien vu par Cronenberg.
Le problème, c’est que le monde virtuel mis en scène par Cronenberg est tellement sinistre et dégoûtant qu’on peine à y voir un exutoire à une réalité plus triste encore : c'est déjà difficile de faire plus triste que le monde du jeu... Comme un peu trop souvent, le réalisateur se complait dans la description d’un univers glauque, à tel point que, en ce qui me concerne, j'ai fini par attendre la fin du film avec impatience. Avec raison, d’ailleurs car le principal intérêt du film réside justement dans la fin, assez brillamment menée pour donner une explication relativement cohérente au spectateur, tout en achevant de lui faire perdre tous ses repères (une réplique finale qu’on n’est pas près d’oublier)… Et ce déchaînement de grand « n’importe quoi » qui m'avait fatigué dans la deuxième moitié du film prend tout son sens. La question se pose néanmoins: était-il vraiment bien nécessaire de nous faire passer par toutes ces horreurs ? (je ne répondrais pas non d'office, mais la question me semble légitime...) En attendant, pour ceux qui auront le cœur bien accroché, subsiste une réflexion intelligente sur les réalités virtuelles, et si on regarde un peu plus loin, sur la perte d’identité des sociétés modernes, ce qui n’est jamais un luxe dans le paysage cinématographique contemporain.