Déjà immortalisée par Henri Verneuil (I comme Icare, 1979) l’Expérience de Milgram est une nouvelle fois mise en scène par Michael Almereyda à travers son long-métrage The Experimenter qui, non content de vulgariser cette brillante étude sociologique, présente une version élargie de la carrière de Stanley Milgram et s’autorise quelques effets de mise-en-scène originaux et pertinents. Le réalisateur réalise ainsi le tour de force d’allier à la recherche artistique une véritable réflexion sur l’homme, l’autorité et in fine, la place de l’art au sein de la société.
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Dès la scène introductive, présentant clairement le principe de la célèbre Expérience de Milgram – qui donnait l’occasion à des sujets d’infliger des chocs électriques à d’autres individus dans le cadre des séances de « Questions-Réponses » mises en scène, et fit réaliser à son auteur, Stanley Milgram, que dans un contexte donné et soumis à une autorité inébranlable, l’individu s’accommodait plutôt aisément de la pratique de la torture – la messe est dite : The Experimenter est tout à la fois un documentaire, un long-métrage de type biopic est un film militant. Documentaire, car il ne propose pas seulement de revenir sur l’Expérience de Milgram mais aussi sur d’autres études sociologiques mises en place par ce dernier, en sus d’un tour d’horizon bienvenu des manières qu’eurent ses pairs, mais aussi sa famille et ses compatriotes d’accueillir, dans une Amérique peu encline à s’entendre dire que son système – tout comme le nôtre – était loin de produire des êtres que la violence systématisée et arbitraire était loin de rebuter. Biopic, car il montre l’individu derrière l’expérience, un chercheur brillant dont le désir d’établir une « logique » de la violence tenait autant à la curiosité scientifique qu’aux réminiscences héritées d’une identité juive incontournable. Film militant car, aux prix d’audacieux échanges entre l’acteur incarnant Stanley Milgram – Peter Sarsgaard, malicieux – et le public – qui ne vont pas sans rappeler certaines scènes de la série House of Cards – Michael Almereyda implique réellement les spectateurs et les pousse à un questionnement perpétuel qui n’est pas tant le classique « qu’aurais-je fait ? » que le bien plus intéressant et intelligent « qu’en penser ? » qui ébranlera sans doute les certitudes de quelques-uns. Dès lors, on peut regretter certains éléments du film – comme le yoyo incessant entre le travail du professeur Milgram et sa vie personnelle, qui finissent par se confondre totalement – tout en saluant quelques trouvailles de mise en scène : ainsi, lorsque Milgram prend sa voiture pour rendre visite à son mentor, les décors sont volontairement tronqués, comme pour mieux mettre en avant la logique d’apparence à laquelle Stanley Milgram devait se plier pour faire accepter ses recherches. De même, Almereyda choisit d’illustrer l’expression anglophone « an elephant in the room » (l’évidence) en faisant suivre son personnage principal par l’élégant pachyderme dans certaines scènes. Ces petits effets sont malicieux et astucieux ; combinés aux échanges entre l’acteur et le public, ils contribuent à les rapprocher et à précipiter les questionnements du film dans les imaginaires et psychés de chacun. The Experimenter ne disposait pas d’un budget important – l’éléphant, plaisantait M. Almereyda durant les « Questions-Réponses » de l’avant-première lilloise, était sans doute l’acteur le plus coûteux – et réussit pourtant à être la fois élégant, intelligent et beau ; il mérite par là-même d’être visionné et apprécié à sa juste valeur.