Mis à part le faux documentaire "Blair Witch 2" en 2000, Joe Berlinger a réalisé uniquement des documentaires. Peu avant "Extremely wicked, shockingly evil and vile", il a réalisé un documentaire sur Ted Bundy intitilé "Conversations with a killer : The Ted Bundy tapes". Voilà une démarche intéressante et un défi artistique. Réaliser un documentaire sur un être qui dépasse l’entendement, ne faire plus qu’un avec le sujet, puis l’adapter en fiction.


Le documentaire est à glacer le sang. De par Bundy lui-même, bien sûr, mais également de par les péripéties qui jonchent ses procédures judiciaires. En effet, il aurait eu la possibilité de sauter par la fenêtre de la bibliothèque de sa prison, sans les moindres chaînes aux chevilles ou les moindres menottes aux poignets. Il aurait cessé de se nourrir et maigri suffisamment pour pouvoir passer par une trappe située dans plafond de sa cellule, et s’évader une seconde fois. Il aurait été autorisé à interroger un policier à propos de l’une de ses scènes de crime. Il aurait menacé le juge responsable de son procès. Il aurait provoqué l’hilarité dans le public en insultant et congédiant son avocat en pleine audience, et transformé une procédure pour multiples homicides en une parodie de justice. Il aurait demandé en mariage, aussi en pleine audience, l’une de ses "supportrices" pour, ensuite, la mettre enceinte en prison et construire une famille avec elle, dans le couloir de la mort.


La réalité dépasse parfois la fiction. Les moments filmés dans le documentaire dépassent l’entendement. L’allure, la prestance, l’éloquence, et même le nom de Bundy rendent l’association entre lui et ses meurtres très difficiles. C’était l’impression qu’il laissait. De nombreuses femmes sont tombées amoureuses de lui pendant ses procès, soutenant qu’il était trop bel homme et trop bien élevé pour être capables de telles atrocités.


Comment réalisé une œuvre de fiction sur Ted Bundy ? Le documentaire dure environ cinq heures. Comment le transformer en un film qui va en durer environ deux ? Quels faits choisir ? Par quel angle les aborder ? Berlinger prend le parti intéressant et louable de prendre le point de vue de sa compagne, Liz. Elle devient nos yeux et va tenter de comprendre comment elle a pu se tromper à ce point sur quelqu’un, et pendant si longtemps.


Le film n’est pas mauvais. Il est raté. On y ressent néanmoins beaucoup de bonne volonté. De la part du cinéaste d’abord, qui décide de sortir du principe didactique du documentaire pour aborder cette "histoire" à hauteur humaine. De la part de Zac Efron ensuite, qui trouve ici un rôle qui pourrait changer son image et lui apporter une certaine crédibilité, mais qui ne parvient tout de même pas à créer ce sentiment d’inconfort et cette sensation de dédoublement que crée le vrai Bundy. Par ce film, on entrevoit les limites du cinéma en tant que moyen d’expression. Il semble que certains évènements et certains êtres ne puissent pas être représentés autrement que par leur réalité. Le cinéma est une manière de manipuler la vérité, de représenter quelque chose qui existe par quelque chose qui n’existe pas. Dans le documentaire, personne ne parvient complètement à associer Bundy avec ce dont on l’accuse. Comme s’il y avait une barrière infranchissable. Une représentation de l’esprit infaisable. Dans le film, à plusieurs reprises, Berlinger recrée au mot près des instants de réalité. Le titre même du film est une phrase que le juge de Floride a prononcée lorsque la culpabilité de Bundy fut établie. Par exemple, lors d’une audience, Bundy "swings his finger" devant le juge, et lui dit qu’il y aura des conséquences s’il est condamné pour des crimes qu’il n’a pas commis. A quoi le juge (joué par John Malkovich dans le film) lui répond "don’t swing your finger at me, young man". Dans le documentaire, ce moment est effroyable. Dans le film, il ne donne absolument rien. Il glisse sur nous. Quelle en est la raison ? Ce sont pourtant les mêmes mots qui sont prononcés, sur le même ton.


La réponse est à l’instar de Bundy lui-même. Insaisissable. Inexplicable. Inconcevable.

AlexLeFieutard
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le 28 mars 2020

Critique lue 112 fois

AlexLeFieutard

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