Eyes Wide Shut est un film à l’ambiance flottante et délicieusement amorale. Kubrick propose pour son dernier film, une kyrielle de femmes nues, et des scènes théâtrales où la gravité n’a d’égale que la confusion. Confusion des sentiments d’une part, et des situations d’autre part. La tentation, qu’a subi Alice (Kidman), la femme du docteur Harford, et celle à laquelle se livre alors Bill Harford (Cruise), est omniprésente, dans la réalité comme dans les rêves. S’il est question de sexe, dans ce couple sans réel ombrage, il est surtout question d’angoisse et de tromperies qui n’existent pas. Bill échange uniquement des baisers (avec la fille d’un patient, avec une prostituée) et sa femme le trompe dans ses rêves. Aussi, les scènes orgiaques du château et l’aspect théâtral de la scène de « jugement » de Bill sont la transposition du rêve d’Alice : Bill se trouve toujours impuissant face au désir de sa femme. Il angoisse de voir les menaces de ses « juges » misent à exécution, et de voir sa femme le tromper. Kubrick nous livre un film avec le couple le plus célèbre des années 90, et ne recule pas devant l’obscénité. Il pose un regard sur l’orgie et sur le désir humain, mi consterné mi indifférent. Aussi Bill Harford s’offusque juste de voir le gérant du magasin de déguisement prostituer sa jeune fille, sans chercher à l’inculper. Bill Harford est conscient de tout, mais décide que ça n’est pas à lui d’agir. Il a les yeux grands ouverts sur les orgies et l’immoralité, mais décide de se taire et de faire avec. D’où le titre énigmatique d’Eyes Wide Shut. Enigmatique, le film n’en reste pas moins une superbe réussite esthétique, où la mise en scène et la direction des acteurs nous immerge dans un monde de lumières au cœur de l’hiver New-Yorkais. Une belle réussite !