Eyes wide shut est le dernier film de Stanley Kubrick, il clôt la carrière de l'un des meilleurs -et je le dis en toute objectivité- réalisateurs du XXième siècle. Une carrière qui s'achève certes sur un "fuck" (dernière citation du film) mais un "fuck" dit de la façon la plus classe et naturelle possible, à l'image de ce que nous a montré le cinéaste dans ses autres réalisation.
Attention, cette critique comporte des spoilers !
Eyes wide shut est un film intrigant et fascinant à la fois, c'est un étrange thriller érotique culte. Le côté érotique qui n'est pas si apparent que ça (je dirais plutôt que c'est un film semi-érotique) fascine grâce à la façon dont Kubrick le filme. En effet, ça n'a rien d'un film vulgaire, c'est visuellement beau, hypnotisant : d'une part Kubrick montre la nudité féminine de façon naturelle, c'est à dire sans retenu mais sans trop en faire (pas de gros plan par exemple), c'est montré comme quelque chose de banalement beau et ce peu importe les situations dans lesquelles sont les femmes (aux chiottes, en train de s'habiller, en pleine overdose, en train de faire l'amour, morte)... je sais que le réalisateur est parfois accusé de misogynie à cause des rôles qu'il réserve aux femmes ; mais en tout cas dans la façon dont il filme la féminité dans Eyes wide shut, je trouve que le portrait du corps féminin est plutôt positif, fascinant même. D'ailleurs, la photographie ne manque clairement pas de style mais elle a un peu vieillie à mon goût. D'autre part, les scènes de sexe plus suggestives que démonstratives ont vraiment un côté sensuel et plus particulièrement, celles dans le manoir possèdent un côté intriguant, notamment grâce aux costumes étranges et aux décors dorés auxquels s'ajoute un éclairage légèrement sombre et tamisé. Il y a finalement peu de sexe mais une tension sexuelle omniprésente à travers ce couple à chaque fois à deux doigts de céder à l'infidélité ; j'ai d'ailleurs compris le verbe "survivre" utilisé par Alice à deux niveau : être encore vivant et avoir un couple qui a résisté aux évènements.
Le côté thriller donne quant à lui une histoire intrigante, avec pas mal de suspens. Par exemple, le fait que l'on ne serra jamais si l'organisation était une sorte de secte bourgeoise dangereuse organisant des sacrifices humains, tuant les traites et intrus et faisant de l'esclavagisme sexuel (cette description fait beaucoup penser à Salò ou les 120 Journées de Sodome réalisé par Pier Paolo Pasolini au passage) ou alors d'une simple organisation libertine un peu occulte comprenant des personnes très haut placées cherchant à foutre la trouille au personnage principal pour ne pas qu'il parle de l'orgie mais susceptibles de mettre leurs menaces à exécution... ça crée un doute qui participe à l'intrigue. Il y a aussi du suspens à travers toutes les investigations du personnage relatives à cette société ainsi que les scènes où il se sent suivie et enfin bien sûr, à travers l'anonymat : qui se cache sous ces masques ?
Quand on additionne la partie érotique avec la partie thriller, ça donne un résultat assez étrange : un marie agit en pensant obsessionnellement à l'infidélité de sa femme avec un regard dont on ne saurait décrypter s'il s'agit plus de haine, du dégoût, de tristesse ou de jalousie ; une orgie dans un lieu bizarre avec des gens dont on ne connaît ni les intentions, ni le visage puisqu'ils portes des masques de surcroit un peu flippants ; une cérémonie dont on ignore si c'est une simple mise en scène imitant le satanisme ou un réel rituel occulte et sexuel ; le corps nu d'une femme à la morgue dont on ne sait pas si l'origine du décès est meurtrier ou accidentel... Bref, Eyes wide shut a un scénario et une ambiance très mystérieux mais ça tient en haleine du début à la fin car ça intrigue et fascine à la fois. Mais même si je ne me suis pas ennuyé, l'un des reproches que je fait au long-métrage, c'est son rythme parfois un peu trop lent, avec notamment certaines scènes moyennement utiles.
Ca ne doit pas être facile de tourner avec un couple en crise ! En tout cas, Kubrick a très bien dirigé ses acteurs qui sont crédibles. Tom Cruise m'a particulièrement marqué dans les scènes où son personnage pense aux infidélités de sa femme, dans celles où il est un peu en mode "WTF?" et dans celle où il se met à pleurer. Nicole Kidman est elle aussi superbe mais il faut regarder le film en version originale car sa doubleuse française -bien que ça soit celle qui lui est officiel- n'est pas top dans ce film. C'est dommage que l'on ne voit pas Nicole Kidman un peu plus. En tout cas, les scènes où les deux acteurs jouent le mieux, c'est bien celles où ils sont en duo ; il y a entre eux une alchimie très intéressante.
J'ajouterais que la musique est très efficace ! La richesse de la bande originale de Eyes wide shut, c'est sa diversité. On retrouve en effet comme dans plusieurs autres films du même réalisateur, de la musique d'opéra assez agréable telle que le magnifique classique Suite pour orchestre de variété n° 1 de Dmitri Chostakovitch en guise d'ouverture. Dans les moments un peu bizarres dans le château, il y a des chants roumains et aussi un chant toumoul de Manickam Yogeswaran, ça participe vraiment à l'étrangeté de l'atmosphère, ça met même un peu mal à l'aise. Enfin, dans les moments de suspens, il y a une musique de piano, simple mais très efficace et elle aussi agréable à écouter (bien que les partitions soient un peu trop répétitifs parfois).
Bon, même si c'est dit de façon classe et naturelle, "fuck" n'est pas le mot le plus classe pour finir une carrière... mais j'ai envie de répondre à ça que même si Eyes wide shut n'est ni Orange Mécanique, Full Metal Jacket ou encore Barry Lyndon, c'est loin d'être un fuck à la carrière de Stanley Kubrick comme certain l'affirment ! C'est un véritable thriller sensuel, certes moyennement bien rythmé mais avec des thématiques rendant son scénario très intéressant à analyser, une atmosphère singulière et deux très bons acteurs.