Suite de la découverte des premiers longs-métrages de Ken Loach au début des années 70 après Kes, et renouvellement du sentiment agréable de constater qu'il évoluait dans des sphères différentes de ce qu'on connaît communément de lui aujourd'hui. Les thématiques sociales et les arrière-plans sociologiques sont relativement similaires, mais le programme se déploie dans des directions beaucoup plus denses et sillonne des partis pris qui en dépit de certaines maladresses paraissent plus percutants.
Le cadre n'est pas celui des catégories défavorisées mais celui d'une famille appartenant à la classe moyenne, et c'est précisément cela, la famille, dont tout découlera. Le tableau de cette vieille société anglaise, traditionaliste, autoritaire, avec ses parents crispés sur les "c'était mieux avant" et les "je ne vois pas pourquoi ma fille aurait une vie différente de celle que j'ai eue", et son conflit désormais bien balisé avec la génération suivante et ses aspirations à l'émancipation. Family Life décrit longuement la toile coercitive de cette cellule familiale et l'effet résolument néfaste qu'elle a sur Janice, écrasée entre l'autorité primaire, passive mais ferme du père et l'horreur absolue des injonctions normatives de la mère — personnage abominable s'il en est, bourreau ordinaire qui ne se rend probablement pas compte de l'étendue des dégâts occasionnés par son comportement et par ses interdits qui tapissent l'entièreté de l'environnement de Janice.
Il est question d'avortement imposé et de la rébellion qui s'ensuivra, elle-même débouchant sur une pathologie, une hospitalisation à moitié-contrainte, et divers mauvais traitements institutionnels. On n’est pas loin de la notion de gaslighting dans ce carcan se resserrant autour de Janice qui pousse à lui faire croire qu'elle est folle et que c'est elle qui pense "mal". La famille y est décrite comme le relai principal du schéma de valeurs traditionnelles, machine implacable dont chaque reproche agit comme une étape supplémentaire dans l'isolement de la fille, emmurée dans sa souffrance. La répression ne se limite d'ailleurs pas au cadre familial puisque le milieu médical est largement présenté comme une source d'aliénation puissante — Loach appartenant vraisemblablement au courant de l'antipsychiatrie — à base de thérapie par électrochocs et de matraquage médicamenteux. Cette vision de la psychose par neuroleptiques aux allures d'expérimentation est glaçante.
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