L'apprenti mélomane.
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le 17 avr. 2015
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Long-métrage d'animation de James Algar, Samuel Armstrong, Ford Beebe, Norman Ferguson, Jim Handley, T. Hee, Wilfred Jackson et Hamilton Luske (1940)
Afin de partager au mieux avec vous les sentiments qui me lient à ce classique de l'animation et vous faire ressentir de la façon la plus précise possible tout l'amour que je lui porte et pourquoi depuis plus de 40 ans il figure parmi mes films préférés fussent ils animés ou pas, je vais devoir m'épancher sur des souvenirs d'enfance, dont je peux concevoir qu'ils ne vous passionnent pas, mais qui apporterons un éclairage nécessaire à ma critique proprement dite du film.
Le premier souvenir, mérite un peu de contexte, je suis issu d'une famille de musiciens, que ce soit mes grands parents, mes parents, mes sœurs, mes oncles, tantes, cousins ou moi, nous pratiquons tous un ou plusieurs instruments de musique, certains même de façon professionnelle, et dans ma famille au sens le plus resserré du terme, la pratique de l'art de la musique a toujours occupée une très grande place, voire souvent une place exclusive dans nos activités, que ce soit écouter de la musique, assister à des concerts ou organiser des événements culturels musicaux, mes parents pouvaient parfois rechigner à nous acheter le dernier jouet à la mode, mais n'ont jamais refusé qu'on achète un disque ou qu'on aille à un concert et nous pouvions aussi bien entendre à la maison les grandes œuvres du répertoire classique, les standards du jazz ou les groupes alors au top des classements que des artistes plus confidentiels connus de quelques uns, une symphonie de Mahler pouvait précéder un album concept de Pink Floyd et lui-même laisser la place à du Wu Tang Clan, avant qu'on ne sorte parce que dans la salle du coin passait ce groupe de synthpop dont le dernier morceau nous avait accroché. C'était normal chez nous cette versatilité. Nous étions si obnubilé par cette forme d'expression qu'on avait des jeux musicaux, certains avaient un but pédagogique, comme reconnaître les instruments d'autres n'avaient d'autres buts que nous divertir mes petites sœurs et moi.
L'un de ces jeux qui pouvaient nous occuper des après-midi entières consistait à nous donner pleins de feuilles ou d'autres supports, pleins de peintures, crayons, feutres de couleurs et de nous mettre un disque, de préférence uniquement instrumental et de nous faire dessiner, peindre ce que nous inspirait la musique qu'on entendait, les résultats montraient des œuvres collaboratives où chaque enfant apportait sa sensibilité, ainsi l'une de mes frangine travaillait beaucoup sur des circonvolutions, des arabesques de couleurs mauves, roses, tandis que moi j'étais d'avantage dans des grands aplats de couleurs vertes, rouges ou encore des grands traits de pinceaux presque martiaux qui m'étaient inspirés par les notes les plus graves de la musique qu'on illustrait sur le vif, ces fresques que je soupçonne ma mère d'avoir conservé quelque part, était systématiquement abstraites et les rares fois où l'on tentait du figuratif, les ailes du papillon finissait par se muer au rythme de la partition jouée en une onde multicolore s'achevant dans un tourbillon vertigineux sur lequel en guise de coda mon autre frangine pouvait saupoudrer quelques paillettes.
Avec ce premier souvenir vous pouvez je crois commencer à saisir le lien fort qui m'unit au long métrage de Walt DISNEY dont on parle ici, sachant que la découverte du dit film est postérieure à ces jeux d'expression artistique qu'on aurait pu pratiquer tous les jours.
La découverte en elle même va introduire le second souvenir que je souhaite partager aujourd'hui et qui va faire entrer la figure de mon père. Mon père n'était absolument pas cinéphile, c'est un art qui l'intéressait que rarement, il préférait la musique bien sûr, la peinture, la lecture, l'histoire, autant j'ai pu l'emmener à des concerts de punk, de rap, de rock et même des raves party dans des hangars immenses et il adorait ça, autant niveau cinéma j'ai que deux exemples, un week-end où j'étais allé chez lui à Nice et où on avait été voir Crocodile Dundee, faisant de ce film encore aujourd'hui un de mes plaisirs coupables, et ce Fantasia. Je ne me souviens pas de comment il avait lui-même découvert ce film, mais je me souviens parfaitement de son enthousiasme lorsqu'il nous en parlait, sa façon de le décrire, de nous partager ses émotions ou de l'évoquer quand l'un des morceaux dont il est constitué résonnait dans les enceintes du salon familiale. Un soir rentrant du travail, nous l'avons vu le visage illuminé et décréter qu'on prenait tous le métro pour nous rendre au grand Rex où était organisée une projection de ce film qui déclenchait en lui de si profonds émois. Je devais avoir 7 ou 8 ans mes sœurs 6 et 3 ans et cette sortie en famille reste un de mes plus émouvants et beaux souvenirs d'enfance, je revois distinctement mon père à la sortie heureux de nous avoir enfin montré ce film si cher à son cœur et la petite fébrilité qui l'habitait en attendant notre verdict à son sujet. Peut-être étions nous légèrement influencé par son aura, mais ce fut un succès général et Fantasia devenait de facto un des films importants de ma vie. Un film qui à chaque fois que je le revois éveille en moi le doux souvenir de mon papa aujourd'hui disparu.
Néanmoins en décidant cette nuit de le revoir suite à l'achat du DVD, ma VHS devenue illisible, cela faisait pas mal d'années que je ne l'avais pas vu et même si très rapidement la mémoire s'activait, j'ai de nouveau ressenti les mêmes sentiments positifs à son égard, tout en ayant sur certains passage l'impression étrange de redécouvrir des pans entiers que j'avais occulté ou mémorisé autrement, j'étais par exemple persuadé que la séquence avec les champignons chinois durait plus longtemps, quand celle des poissons m'était totalement sortie de l'esprit, séquence qui d'ailleurs va me permettre de poser une des premières et nombreuses qualités formelle du film. Illustrant le mouvement dit de la "danse arabe" extraite du casse-noisettes de Tchaïkovski, il est évident que derrière une première lecture assez enfantine de ces poissons aux longues nageoires caudales percent pour un regard plus adultes bien plus de choses, ce sont ainsi les danses des sept voiles mythiques des cultures orientales, mais aussi les figures de Shéhérazade ou de toutes ces femmes traversant les contes des mille et une nuit qui surgissent soudain, on peut même y déceler cet érotisme troublant qui nimbe cette littérature exotique un imaginaire à la fois poétique, d'aventure et de passion. Le plan de ces deux poissons derrière une gorgone, comment ne pas y voir l'image de ces regards de femmes des harems, dissimulées de la concupiscence des hommes derrière leurs moucharabiehs ? L'une des nombreuses séquences où la magie destinée aux plus jeunes spectateurs fonctionne en parallèle d'une foisonnante possibilité de lectures plus profondes à destination des adultes.
Je peux comprendre que devant une telle radicalité, une telle unicité on soit réticent à ce film, qui est loin d'être le plus facile à vendre, pas de structure narrative claire, pas de personnage à qui s'identifier ou avec qui rentrer en empathie, un concept qui demande à avoir une certaine culture ou du moins un intérêt pour la musique et qui plus est la musique classique, des interruptions didactiques entre chaque tableau font de Fantasia l'un des films d'animation qui suscite l'adhésion la plus fervente ou le rejet le plus vif. Cependant il me parait malhonnête de ne pas lui reconnaître ses immenses qualités plastiques, se voulant en plus d'un projet artistique d'unification de l'image et de la musique d'une maîtrise et d'une audace rares, le film qui je le rappelle date de 1940 se veut également être un panorama assez exhaustif et fascinant des diverses techniques d'animation, une sorte de florilège du savoir-faire de ces artisans qui parviennent à donner vie à des dessins, tour à tour abstraits, tour à tour grandioses, d'aquarelles oniriques en fresques unissant formes mythologiques et fondements enfantins le tout lié par un sens exacerbé du beau et une pointe d'humour rafraichissante et qui continue de fonctionner, en tout cas sur moi, la danse des hippopotames créatures imposantes s'il en est vêtus de tutus qu'on a d'habitude coutume de voir portés par de graciles et légères ballerines, même si je la connais parfaitement me fait encore rire sincèrement.
Je pense qu'il s'agit de l'une de mes critiques qui fait intervenir le plus l'intime en moi, j'avoue que cette fois une analyse plus technique m'apparaissait moins pertinente pour parler de mon ressenti face à cette sublime création artistique, rare, un vrai chef d'œuvre au sens noble qui est en plus un exhausteur de tendres souvenirs.
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Créée
le 19 nov. 2023
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