Voir un Sokourov n'est jamais anodin. Qu'on adore ou qu'on déteste, c'est de toute façon une expérience inoubliable. Une nouvelle fois, je sors de là sonné, conscient d'avoir vu l'une des pièces majeures du cinéma contemporain, un film ( un tableau ? ) qui devrait servir de jalon dans l'histoire du septième art, tant il bouleverse la façon pour un artiste et pour un spectateur de concevoir celui-ci.
Là où bien des réalisateurs semblent castrés par leur esthétisme, l'intellectualisant à outrance, le maître russe, encore plus qu'à l'accoutumée, le met tout entier au service du sensoriel : on rit (énormément), on frissonne, on flirte avec le dégoût et la folie. Seul le confort n'es pas convoqué durant ces 134 minutes.
"Faust" est une œuvre monstrueuse, qui engloutit celui qui se trouve dans et face à l'écran, c'est un objet au premier abord peu sympathique, qui réclame l'abandon total, une mise au vestiaire du cerveau. A cette condition, et à cette condition seulement, on pourra se laisser aller au bonheur presque enfantin ressenti devant le cinéma de genre. De genre, Sokourov n'en choisit pas, il fait de l’œuvre de Goethe un récital de burlesque et d'horreur.
Des deux il extrait le substrat, la quintessence : la scène de la diligence pour le premier, et celle des bains publics pour le second, sont des morceaux de bravoure hallucinants, d'une outrance que seuls les plus grands peuvent se permettre, en équilibre cristallin entre ridicule et sublime.
Bien que trituré, le matériau d'origine est respecté, raison pour laquelle le Sokourov fleur bleue se fait soudain jour, et là, c'est un autre aspect de son talent, moins souvent évoqué, qui nous explose au visage : la précision dans la direction d'acteurs. Le bonhomme étant "légèrement" jusqu'au-boutiste, il y a fort à parier que les mimiques sur les visages de Johannes Zeiler et Isolda Dychauk, tiennent peu de l'initiative personnelle. Et c'est justement ces détails qui font que la bouche et la main de Margarete viendront désormais régulièrement travailler mon cerveau reptilien. Je vénère depuis toujours le gros plan et ce n'est pas ce film qui va arranger mon cas.
Je ne vais pas vous mentir, je suis un peu névrosé, et bravant le sommeil, j'ai malencontreusement appuyé sur le bouton "On repart pour un tour de manège" à l'issue du premier visionnage. Mais le fait d'avoir évoqué les parties de l'anatomie d'une certaine jeune fille m'oblige à vous quitter précipitamment, un furieux désir de glisser mon gros Blu-ray dans une petite fente m'envahissant à nouveau.
Ah oui, quand même, une dernière chose : les acteurs sont fantastiques et le choix musical est une tuerie.
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