Juste un coup d'œil pour constater qu'il y a déjà 172 critiques sur SC pour ce film. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter de plus ? Et il faut bien que je fasse cette critique si je veux ranger ce film dans ma liste !
Commençons toujours par des généralités.
Le film a été réalisé (par Hitchcock…) en 1954 juste après "le crime était presque parfait" (que j'aime bien) et "La main au collet" (que j'aime nettement moins). Importante déduction personnelle : on est en plein dans la période "Grace Kelly" chez Hitchcock.
Et là, faut bien avouer que dans ce film, c'est un vrai spectacle de la contempler, elle, ses robes, ses bijoux et ses coiffures. Ses postures ! Debout, virevoltant (avec grâce !) autour de James Stewart, avec un cognac dans un verre ballon, sur les genoux de James Stewart dans une position abandonnée, à la fin sur le divan dont la caméra (truculente et peut-être un peu coquine) commence par mater les (exquises) chaussures puis les mollets puis le reste de Grâce Kelly, cette fois mutine. Et il n'y a pas que ça. On la voit grimper à une crinoline, passer d'un balcon à une fenêtre avec une superbe jupe (longue, je rassure le lecteur qui pourrait imaginer n'importe quoi). Bref, un festival.
Autre point significatif, c'est le retour de James Stewart après plusieurs années d'absence chez Hitchcock. Alors là, lui, c'est pas pareil, il est cloué sur un fauteuil roulant suite à un accident professionnel avec sa jambe et cuisse immobilisées dans un plâtre. Lui, il trouve le temps long et en l'absence de télévision et de magnétoscope (1954 ...), il mate. Il mate par la fenêtre et nous y associe d'ailleurs. Je me surprends ainsi à mater la petite nénette qui danse, toujours plus jolie à regarder que l'épais Raymond Burr s'agiter dans son appart et s'engueuler avec sa femme alitée.
Au-delà de l'énigme policière qui me semble n'être qu'un prétexte moral, l'intérêt de ce film est "le plaisir communicatif et jouissif de l'indiscrétion". Faire ce que les règles de savoir-vivre interdisent de faire. Un exemple qui me vient à l'esprit : dans le roman de Jean Auel "les enfants de la terre" qui se déroule aux temps préhistoriques où les gens vivaient en promiscuité totale dans les grottes, l'écrivaine imagine qu'en l'absence de murs ou de cloisons, la règle de vie est de ne pas voir. Regarder peut-être accidentellement mais pas voir. Je pense en effet, qu'une société ne peut subsister en relative harmonie que si les gens qui la composent, laissent un espace de liberté à leurs voisins.
Ici, James Stewart pourrait ne regarder que la ligne bleue des Vosges de l'autre côté de la cour. Difficile me direz-vous. Mais non, il voit et constate que chaque matin, une femme descend au treuil son chien dans un panier dans le jardinet dans la cour, il voit une autre femme se brosser les cheveux, une autre faire de la danse rythmée (le nom exact m'échappe). Il voit une autre femme seule et triste, s'inventer un invité.
Il voit Raymond Burr faire des allers et retours qu'il ne comprend pas. Et ça le bouffe de ne pas comprendre. Et je pense que c'est un trait humain que de vouloir savoir ce qui se passe chez le voisin à son insu. Une façon de prendre un pouvoir. Il suffit juste de trouver la bonne justification qui supprime les barrières morales. Le film ne cesse de montrer ce truc-là. Ça commence avec l'infirmière qui est outrée par ce que fait James Stewart et quand la femme qui s'apprête, tire le rideau, l'infirmière s'exclame "bien fait" car ce sujet-là ne l'intéresse pas. Quand une autre femme semble vouloir s'empoisonner dans un autre appartement, le réflexe pro fait que la barrière morale s'efface en l'autorisant à voir.
Quant à Grace Kelly, elle est tout aussi outrée jusqu'au moment où James Stewart trouve la bonne coupure qui va lui donner la justification morale pour voir. Même le détective (Wendell Corey) : il refuse par "obligation professionnelle" d'entendre ce que lui dit James Stewart sur ses soupçons. D'ailleurs, point par point, il démontera tout ce que James Stewart lui dit. Sauf. Sauf que lorsqu'une femme se déshabille ou danse en petite tenue, le détective voit et ne parvient pas à détacher son regard. C'est la barrière morale du mâle qui est tombée.
Au final, je dirais que ce film est consacré au voyeurisme sous toutes ses formes dans un cadre formellement politiquement correct. On peut se demander d'ailleurs ce qu'il en serait si quelqu'un en faisait le remake aujourd'hui. Le voyeurisme sous toutes ses formes : les voisins et leurs actions banales ou pas, coupables ou pas. Même le voyeurisme relatif à Grace Kelly absolument charmante et qui se prête volontiers (et sans risques) au voyeurisme du spectateur.
La mise en scène champ/contrechamp, évidente pour exprimer et mettre en scène ce voyeurisme est très bien.
C'est un film intéressant et bien joué.