Il faut du courage ou de la passion pour se plonger dans ces trois heures d’introspection de Victor Erice. Non dénué de belles fulgurances, ce film testamentaire est trop long, trop autocentré et n’a que peu de chances d’intéresser un public au-delà d’un cercle de cinéphiles inconditionnels.
Miguel Garay (Manolo Solo) est un réalisateur vieillissant qui mène une existence retirée jusqu’à ce que ressurgisse une affaire qui a marqué sa vie : la disparition mystérieuse de son ami et acteur fétiche, Julio Arenas (José Coronado), survenue pendant le tournage d’un de leurs films inachevés. Fermer les Yeux prend dès lors la forme d’un voyage introspectif où le passé et le présent se mêlent, explorant les souvenirs, les blessures et les traces laissées par l’absence.
Le réalisateur Victor Erice est un cinéaste rare, jouissant d’une réputation de prestige chez les cinéphiles. Chacun de ses trois précédents films a marqué le paysage cinématographique. Âgé de 84 ans, le voilà de retour plus trente ans après son dernier long-métrage, Le Songe de la Lumière. Ce long hiatus a été parsemé de projets avortés, comme La promesa de Shanghai, auquel son dernier film fait directement écho. Plus qu’un écho, Fermer les yeux est un véritable autoportrait du réalisateur, qui se met en abime dans une réflexion sur le temps qui passe et les images qui restent.
Il n’est donc pas étonnant que ce film soit distribué en Suisse par la Cinémathèque Suisse, tant il s’adresse aux cinéphiles. Le problème, c’est qu’il risque de laisser à quai le public moins initié ou tout simplement celui qui ne serait pas forcément intéressé à voir un artiste filmer son nombril… pendant près de trois heures (!). Un peu comme Spielberg avec son Fabelman, Erice livre ici un film mi-portrait, mi-testamentaire, plombé par un dispositif qui n’a de cesse de s’auto-contempler. C’est dommage que la lourdeur de cette note d’intention vienne gâcher des idées et des aspects beaucoup plus réussis. En effet, la réflexion sur la différence entre la mémoire et la conscience, et comment l’art peut s’adresser aux deux, offre des pistes aussi prometteuses que vertigineuses. La composition des cadres aux décors dépouillés et les images aux couleurs froides donne une touche très élégante et singulière au film. Enfin, l’acteur Manolo Solo et ses faux airs de Marcello Mastroianni est particulièrement convaincant. C’est probablement grâce à lui qu’on parvient jusqu’au bout du film sans… fermer les yeux.