De Festen, on ne retiendra pas forcément la forme en premier lieu (le dogme qui n'a été qu'un mouvement éphémère), mais l’étonnante habileté du récit qui permet d'utiliser les codes de la célébration dans le but d'engendrer une disgrâce.
Le rituel du discours d’anniversaire d'un patriarche (a priori vénérable et honorifique) est ainsi utilisé pour mieux donner un coup de pied dans la fourmilière. L'outil sémantique revient ici à se servir de cet événement, d'en exploiter l'audience directe, afin de faire passer son message (un odieux secret de famille.)
Mais les intentions théoriques doivent faire face à la réalité des perceptions humaines, de la lâcheté, de la peur des différents protagonistes qui peuvent être tiraillés entre la notion de famille, ses obligations affectives, et une vérité cachée.
Bien que classique, ce drame révélé bénéficie d'un rythme qui ne lui fait jamais défaut, à travers un point de vue imaginaire qui montre peu ou prou l'essentiel de ce qui fait avancer la petite histoire sordide. La caméra est un œil flottant, symbole de la vérité, d'une froideur parfois morbide, avec quelque chose de voyeuriste sans jamais tomber dans la gratuité pour autant.
Victime, Christian est ce héros qui, pour surmonter ses peurs, a besoin de consommer de l'alcool. Trouver le courage et la désinvolture nécessaire dans son but - faire éclater la vérité au grand jour - doit se faire sous la pression d'une salle difficilement acquise à sa cause. Les agressions dont il a été victime enfant ont eu des répercutions multiples : asexualisation, retrait de sa famille (au point de ne pas être assez présent pour sa sœur avant sa mort qui a également été souffre-douleur.)
Mais son obstination engendre de véritable moments de grâces, où il tente de rester digne malgré la cruauté maladroite de son frère, avec ses accablements, ses résistances et ses coups d'éclats (retour en force après les dénigrements.)
L'intrigue repose sur un basculement qui doit s'opérer (grâce d'un côté et disgrâce de l'autre), le but étant de savoir qui chutera face à l'autre.
La mise en scène brute et peu reluisante permet de se focaliser sur le plus important. Difficile de faire contemplatif en suivant le dogme95. L'objectif n'est pas de décrire mais de montrer, de ne pas habiller mais de déshabiller, au point d'engendrer parfois quelques maladresses expéditives (l’évasion un peu facile de la forêt, le père qui s'incline sans doute trop vite.)
S'opère alors un dénouement final via un étonnant artifice scénaristique. La sœur qui s'est suicidée transmet un message post-mortem, via un jeu de pistes qui était connu dans la famille.
Helen, l'autre soeur de Christian, joué par l’excellente Paprika Steen, représente l'esprit libre qui lui sera utile à la dernière minute. Rayonnante, chaleureuse, pas forcément courageuse à tous les coups mais authentique, elle sera présente à l'intérieur du dernier petit bout de famille restant, dans une ultime délivrance.
Avec ses improvisations et tout son talent, Festen génère chez le spectateur un chavirement à sensations fortes, entre la monstruosité d'un fait et le danger de son appréciation collective, dans une aventure intestine troublée et troublante. Hystérie collective, impression fratricide, manipulation de dernière minute, combat de témoignages oraux, l’œuvre sait garder ses qualités de fond en utilisant, sans fioriture, son astucieux formalisme.