Fidelio, l’odyssée d’Alice est un premier long métrage qui parle d’amour ou plutôt de transport amoureux. Sa réalisatrice Lucie Borleteau a choisi de raconter – sans que le récit soit documentaire puisqu’elle a abandonné ce projet au profit de la fiction – une partie de la vie d’une de ses amies. Son histoire se passe au cœur d’un bateau de la marine marchande dans lequel se trouve une femme au milieu d'hommes. Sans réinventer les codes cinématographiques – malgré de magnifiques plans en scope de la mer qui devient poétique – Lucie Borleteau réinvente les codes de la féminité et fait d’Alice une femme libre sans culpabilité. Rien que pour ça son film vaut la peine d’être vu.
« Être une femme libérée, tu sais c’est pas si facile »
Dans le tout premier plan du film, Alice nage en pleine mer entièrement nue telle une sirène. C’est comme ça qu’on la rencontre, pleine de désir, créant le désir. Elle se rhabille – pour mieux être déshabillée – et rejoint sur la plage un amour norvégien qui l’attend lui aussi plein de désir. Il la dessine d’ailleurs nue, comme elle est dans ses rêves, c’est-à-dire plus plantureuse. Les mots qu’ils s’échangent sont crus mais jamais vulgaires. Presque la seconde d’après Alice est propulsée sur un petit bateau à moteur, toujours en pleine mer. Elle rejoint un cargo immense, tentaculaire : le Fidelio. Le bateau a changé de nom, elle y grimpe comme un chef, mais elle le reconnaît pourtant. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose qu’Alice reconnaît puisqu’une voix bientôt la fait palpiter et fuir : celle d’un vieil amant dont elle va croire retomber amoureuse, qui va l’aider à comprendre autre chose. L’odyssée d’Alice c’est le retour à la terre sur laquelle elle vit une quête plus traditionnelle, elle y est la femme d’un seul homme et a une famille tout ce qu’il y a de plus classique. Sur la mer c’est autre chose : Alice est dans la cabine de l’homme mort qu’elle remplace. De lui elle trouve un carnet qui raconte avec minutie – comme de nombreux plans du film qui s’intéressent au bateau et à la salle des machines devenue organique – la vie sur le Fidelio avec son désir, ses doutes et sa quête. Sur la mer Alice est reine. Elle est une femme au milieu des hommes, mais n’est pas un objet, elle parle de sexe sans défi, sans honte. Cette femme-là sait une chose « ce qui se passe en mer, reste en mer ». Pourtant, elle sera rattrapée sur terre par la mer et tentera de reconquérir ce qu’elle a perdu. Son odyssée est simple : revenir chez elle. Pourtant Alice n’est pas Ulysse, quelqu’un l’attend certes et elle l’aime, mais elle n’y est pas attachée jusque dans sa chair puisque toute sa vie n’est que détachement. Elle ne connaît pas la fidélité et vit tout sans culpabilité aucune. Parfois il arrive que les filles légères n’aient pas le cœur lourd, voilà ce que nous dit avec brio Lucie Borleteau.
Alice anyways
Dans ce bateau les hommes travaillent et vivent des moments de groupe. Ils se parlent sans s’entendre dans la salle des machines et perçoivent la femme de loin sur leurs photos pornos ou dans les bordels dans lesquels ils atterrissent. Leurs corps sont leur outils de travail quand il faut redresser la barre, maîtriser un bateau tantôt docile, tantôt effrayant, mais les corps des autres et des femmes surtout ne sont pour eux que des objets de consommation. Ils n’hésitent pas à être graveleux. Au milieu d’eux Alice est pareil, identique, elle parle de ses coups d’un soir sans rougir. Pourtant, elle a aussi une conception totalitaire de l’amour et elle le dit elle-même, « je veux tout ». Cette affirmation-là fait d’Alice une femme entière, sans concession. Qu’elle se prenne pour Kate Winslet juchée sur le pont du bateau les bras levée faisant du Fidelio un frère du Titanic – puisque le Fidelio lui-même est bon pour la casse – ou pour un mécano au visage rempli de cambouis qu’on surnommera « Mimi Cracra », Alice est complète quoi qu’il arrive (et belle !). Alice aime autant l’amour que le sexe, mais pas qu’on lui vole son corps. Quand une nuit un des marins viole son intimité, elle ne se démonte pas et le menace, le fait fuir.
Lucie Borleteau filme le désir de cette femme à égalité avec celui d’un homme. C’est son sexe à elle que l’amant et capitaine du bateau qu’elle a bien connu (Melvil Poupaud) dévore et c’est son cri de plaisir qu’on entend. Ces scènes de sexe, assez nombreuses, sont filmées furtivement, mais comme elles sont en vérité : des faims assouvies. Alice lit le récit d’un homme disparu et entame sa propre quête. Par celle-ci elle découvre qu’elle aime, elle se détache, elle ne se refuse rien. Cette héroïne-là est presque féministe, mais d’un féminisme qu’on aime : celui où il n’y a pas de mépris pour l’autre sexe, où il est simplement un être égal à soi, pas un ennemi. Pour interpréter ces rôles plongés au cœur d’un bateau, Lucie Borleteau s’est extrêmement bien entourée, de Melvil Poupaud à Anders Danielsen Lie (découvert dans « Oslo : 31 août »). Mais surtout elle a choisi une actrice dont le visage ensorcelle tout le film. Une actrice au corps à la fois gracile, mais qui dégage aussi une force et une sérénité complètes. Ariane Labed (prix d’interprétation féminine au dernier festival de Locarno) s’accomplit autant qu’Alice qu’elle ne rend jamais vulgaire. Finalement, Alice veut vivre avant tout avec « plusieurs lignes de cœur » et quoi qu’il advienne une chose est sûre : elle aimera.
Fin d’année
Dommage que ce film soit sorti un 24 décembre, si discrètement. La presse est enthousiaste, mais il ne fera partie d’aucun classement, sera relégué à jamais. Pourtant sans qu’il soit parfait, ce premier film est très prometteur. C’est le deuxième premier film français à retenir cette année, après la sortie des Combattants. Preuve que le cinéma français a de l’avenir ! Lucie Borleteau a une vraie plume pour les dialogues qui glissent au fil de l’eau, sans accroche. Il lui manque juste un peu moins de classicisme dans la mise en scène. Elle doit oublier d’où elle vient (la Fémis) pour se laisser aller comme son Alice à être totalement libre dans ses mouvements. Ce film aurait mérité une meilleure sortie en salles et une fin moins attendue surtout (dommage là encore que ce dernier plan si peu porteur). C’est un film à voir, rien que pour le visage d’Ariane Labed et la force tranquille qu’elle dégage et auquel le film rend hommage, sans hystérie.
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