Comme pour la 300ème, je profite de l’occasion de ma 400ème critique pour parler d’un film de mon top 10. Avec ce dernier, j’aurais enfin (après 3 ans pas trop tôt !) rédigé une critique sur l’ensemble de ce top (en même temps c’est facile il n’a pas beaucoup bougé…).


Cela commence pourtant étrangement. Un homme mal dans sa peau (Edward Norton), avec une préférence marquée pour les meubles Ikéa, qui va à des cessions de gens malades pour pleurer sur l’épaule d’inconnus, qui s’imagine dans une grotte parler à un pingouin… Mais rapidement ce côté déjanté et atypique finit par opérer son charme. Le narrateur (dont le nom ne sera jamais donné, m’en suis-je rendu compte au deuxième visionnage) rencontre le fameux Tyler Durden (Brad Pitt), homme nihiliste et anticonformiste à l’extrême, et qui va lui ouvrir les yeux et révéler sa propre frustration envers le monde.


Véritable représentation du mal être qui sévit dans notre société. Une société de consommation, où l’on existe que si l’on possède, nos possessions nous définissant nous-mêmes, « ce que tu possèdes te possède ». Un conditionnement imposé par la pub, les grosses entreprises, et ce depuis l’enfance où notre route semble déjà tracé : les études, un boulot, le mariage, les enfants. Une richesse, un confort, qui ne peut être obtenu que par des boulots ennuyants, contraignants, qui étreignent l’énergie qui brûle en nous. Et pourquoi ? Se procurer des affaires qui au final ne nous sont pas indispensables. Un confort qui nous endort, nous aveugle, nous rend insensible aux choses qui comptent vraiment. Une vie balisée, un confort qui nous paralyse, un travail qui nous ennuie, où l’on avance tout doucement sans en avoir conscience vers l’inéluctable, la fin, la mort. Car pour tout le monde, à la fin le compteur arrive à zéro. On le sait pourtant, nous la craignons, mais nous agissons comme si elle n’existait pas, nous nous complaisons dans des existences dénuées de sens, sans vivre vraiment. Un monde matérialiste mais aussi de plus en plus virtuel, contraire à notre nature profonde. Virtuel, comme l’est la principale richesse sur laquelle tout repose, cette richesse qui n’est qu’une suite de chiffre dans les ordinateurs des grandes banques.
Bien sur c’est mon propre Tyler Durden qui parle. Je suis moi aussi l’esclave de cette société, esclave de mon confort bien sécurisant, attaché à mes possessions, passant les journées au travail sans penser aux choses que je regretterais si je devais mourir demain. Et je ne peux pas dire que je suis le plus épanoui. D’ailleurs j’ai du mal à dormir…


« Fight club » raconte donc une histoire particulière. Elle commence par une simple rencontre et continue par une série d’actes de plus en plus insolites. Des hommes qui se bagarrent pour le plaisir, pour apprendre à endurer, se sentir vivant, sortir de la torpeur dans laquelle ils étaient plongés. Et peu à peu cette violence recherchée attire de plus en plus de gens. Une étrange organisation secrète se crée alors, qui prend de plus en plus d’ampleur, révélant toute la frustration, la rébellion, l’envie de liberté, le refus des contraintes, le besoin de vivre pleinement qui agite chacun d’entre nous. Tyler Durden n’a aucune limite de bienséance, et profite de chaque opportunités pour déverser sa frustration sur le système et ceux qui le font marcher, par des actes osés qui peuvent prêter à sourire, bien que moralement limite et pas très défendables. Son énergie que rien n’arrête, que rien ne contraint, devient un aimant qui attire toutes les personnes mal dans leur peau. Des idées parfois dérangeantes, car la société tant décriée, les habitudes de vie, sont finalement les nôtres, et à voir autant de monde rejoindre ce club, on se demande si nous aussi nous ne sommes pas des esclaves qui s’ignorent et qui crient à la libération.


La réalisation suit et accompagne le délire du narrateur, chaque réflexion et explication est mise en scène. Une identité visuelle particulière, associée à la voie off qui permet une connexion au personnage, et qui accroche le spectateur à ce récit singulier dont le côté subversif dérange mais envoûte. Ce dernier continue de regarder le film, se demandant comment tout ça va finir. Une performance que l’on doit à David Fincher, qui accumule désormais les grands films. Après une mauvaise expérience avec Alien 3 auprès des studios 20th Century Fox (film qu’il reniera), il accepte finalement de réaliser l’adaptation de ce qui est d’abord un livre. L’adaptation dont la fidélité sera jugée parfaite.


L’histoire finit par prendre une forme plus inquiétante et devient un cauchemar pour Norton, lorsqu’il s’aperçoit que le fight club lui échappe. Et c’est là qu’arrive l’autre grande force de ce film, qui a contribué fortement à le rendre culte. Un des plus grande twist ending de l’histoire du cinéma, bien que plusieurs fois copié par la suite, mais jamais égalé. Une révélation fracassante mais réfléchie tout au long, ce que l’on comprend en se remémorant plusieurs scènes du film qui acquièrent dès lors une autre signification et prennent tout leur sens.
Il y aurait sans doute beaucoup à discuter sur la portée philosophique de cette révélation.


Nous sommes perpétuellement en conflit avec nous-mêmes. D’un côté notre raison et l’autre nos pulsions. Notre raison doit contrôler nos pulsions mais ces dernières ne doivent pas être ignorées sous peine de voir naître des effets néfastes (insomnie, mal-être, tristesse). La réalité de la relation entre le narrateur et Tyler Durden peut être vu comme le combat intérieur qui se joue en chacun.


Alors oui le délire anarchique va loin et devient malsain, il n’est certes pas question de défendre pareilles activités mais cela n’a pas d’importance puisque l’histoire est purement fictive et improbable. Je pense qu’il faut le voir comme une sorte de représentation des pulsions de rebellions, de ras-le-bol qui couvent en chacun de nous. Une idée suivi jusqu’à l’extrême, mais ce procédé narratif n’enlève cependant rien à la pertinence de la critique de notre société qui est montrée.


Incisif, décalé, originale, à la fois dénonciation des travers de la société et virée fascinante dans les tréfonds de l’âme humaine, subversif dans son fond et déjanté dans sa forme, un exemple de révélations fracassantes qui fera date… En d’autres termes, un film qui marque. Un film culte.


Information importante que je viens d’apprendre en me renseignant un peu à l’occasion de cette critique : le film a d’abord été un échec à sa sortie, et est loin d’avoir fait l’unanimité parmi la presse. Il a fallu attendre sa sortie en DVD pour qu’il acquière son statut d’œuvre culte. Ce qui en dit long sur l’évaluation de nos chers critiques et incite à relativiser bon nombre d’échecs actuels… Moi personnellement, il m’a fait l’effet d’une véritable claque, l’impression d’avoir suivi un film hors-norme, me laissant ébahit à la fin du film, les yeux ouverts, le mot « ouah » pointant sur le bout de la langue. Un film qui presque 20 ans après n’a pas pris une ride et aux préoccupations plus que jamais d’actualité.

Enlak
10
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le 12 déc. 2015

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Enlak

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