Un film qui reflète la vie des occidentaux comme elle est dans ses détails les plus pitoyables de banalité et qui en vient à nous toucher, nous comprendre et nous éveiller comme pratiquement rien ne l’avait fait auparavant. Ce que je vous expose présentement sont les bases même de ce qu'un film comme Fight Club a été pour moi : une révélation crue d'une énorme nécessité. Tout d’abord, un auteur : Chuck Palahniuk. Prenant place comme une des rares voix littéraires d’une génération, à travers une avalanche de phrases révélatrices et brillantes dans des contextes pouvant paraître farfelues, mais ô combien brillamment composées, il aborde dans son premier opus l’absence de sens d’une génération qui n’a rien à contempler devant elle par rapport à une quête déchue dans laquelle on remarque facilement une absence quasi totale du réel. Aucune place désormais à l’ambition et au rêve quand le cauchemar du concret et du quotidien nous guète. Le néant dans sa forme la plus pure. Par la suite, un cinéaste : David Fincher, réalisateur brillant derrière des merveilles de style et d’ingéniosité tel que Se7en. On pouvait s’attendre à ce que la rencontre entre les deux artistes témoigne d’un génie tel qu’on ne serait pas près de l’oublier et, de plus, bien loin d’en décrire toute la subtilité et la finesse malgré les litres d’encres qui en découleraient. Et bien, c’est tout à fait le cas. Un film à la voix unique et directe débordant de style et d’idées. Une perfection du cinéma moderne, voir une œuvre indispensable autant cinématographiquement parlant que dans son contexte social.
Un film comme Fight Club est une œuvre où l’histoire est à la fois extrêmement ingénieuse au niveau de la structure et en même temps, voir surtout, prétexte à vouloir tenter de changer notre existence pour quelque chose de moins poussé vers le matérialisme et les fausses idéologies. Mais attention, il ne s'agit tout de même pas d'un cours où l'on tente de vous imposer une morale. Le travail sur le plateau était de vous exposer le problème, le reste du boulot n'en revient qu'à vous. En d'autre termes, l'idée derrière l'écriture est de se concentrer pratiquement en sens unique en fonction du discours. Plusieurs d’entre-nous, surtout de ma génération et de la précédente, c’est-à-dire les personnes âgées entre vingt et trente ans, se reconnaîtront facilement dans les désormais célèbres phrases avancées par Tyler Durden : emprisonné dans un boulot d’une lamentable platitude, voir dans un enchaînement du quotidien menant à une survie de l’enveloppe corporelle tandis que l’âme s’évapore peu à peu pour sombrer dans un intérêt voué aux possessions matérielles et aux relations interpersonnelles artificielles. Dans le cas présent, on nous expose à la société ou, plus précisément, à une vitrine tout ce qui a de plus malsaine tourbillonnant autour de la consommation dans un monde où l’avoir aura finalement pris le dessus sur l’être et face au système, un groupe de gens comme tout le monde, se confondant dans la masse, grandissant peu à peu et prêt à aller jusqu’au bout pour remettre les pendules à l’heure. On le voit d’ailleurs tous les jours quand on marche tout simplement dans la rue. On a qu’à évaluer ce qui nous entoure : tous former autour du même moule pour la plupart. L’excellence se construit à l’entour d’une image et non pas par rapport à ce que l’on a à communiquer. Les besoins primaires tel que se loger, se vêtir, se nourrir se seront transformés pour devenir des accessoires où il s’agit maintenant de composantes utilisées dans une formule visant à tenter d’emmener l’homme au dessus des autres par le biais des apparences. Plus question d’aborder le sujet en tant que base fondamentale de la survie. C'est ce qui nous amène plus précisément au film en tant que tel. Le principal protagoniste, un narrateur symboliquement dépourvu de nom, fait la connaissance de Tyler Durden. Tyler fabrique du savon en barre. Tyler lui demande de lui donner un coup de poing en cognant de toutes ses forces. Tyler a un plan. En Tyler ils croiront.
Fight Club est une oeuvre brillamment et adéquatement formulée et qui bénéficie d’une structure de récit contagieusement efficace. La dynamique du film est présenté par un enchaînement de scènes conduit par une merveilleuse utilisation de la narration. On nous offre un spectacle à la fois déroutant par rapport au chemin qu'il emprunte, on a qu'à penser au retours en arrière au début du film où on nous emmène à un certain point dans le passé pour nous faire comprendre le contexte et, tout à coup, le narrateur juge qu'il faut reculer d'avantage. Beaucoup d'idées au niveau de l'exploitation de l'histoire et de la symbolique sont composés de façon aussi ingénieuse tout au long du film. Il faut dire que la composition de l'intrigue en tant que tel obligeait un peu à ce genre de résultat. Mais ce qui m'a totalement hypnotisé et réveillé avec Fight Club c'est le contenu en tant que tel. Le message, la claque en pleine face. À quelque part le tout peut paraître comme une certaine forme de propagande, mais il faut aussi dire qu'à quelque part on nous montre des solutions fatalistes parce que c'est malheureusement là où on en est rendu. Nous vivons à une époque où à peu près personne regarde autrui dans les yeux, où l'on s'enferme dans une bulle qu'on forme d'objets inutiles accumulés en échange de notre sueur et notre temps. Mais le vrai problème dans tout ça est que le monde s'y plaît, personne ne se risque à hausser ton ou à tenter de changer quelque peu les choses, simplement faire une différence. "Les ignorants sont bénis".
Enfin, visuellement parlant, David Fincher démontre encore sa force et sa vision en tant que référence parmi les artisans du nouveau cinéma américain. Il pousse encore plus à fond un style développé et maintes fois poussé à ses limites à travers ses Alien³, Se7en et The Game. Il témoigne ici la voix d’un nouveau langage qui adapte à la fois un style moindrement classique tout en le rendant beaucoup plus vibrant de vie et significatif. C’est aussi un style qui est encore une fois accompagnée d’une force incontestable au niveau de la composition de la photographie qui tient tout simplement du génie, surtout en ce qui attrait à la mise en forme des textures de l'image. Utilisation facilement identifiable vu l'inspiration qu'elle est devenue pour d'autres productions telles Minority Report ou The Ring par exemple. D'autre part, la composition et le choix de plans sont d'une justesse phénoménale. Les inspirations du réalisateur ne sont pas à prendre au dépourvu disons le clairement. On se retrouve donc devant un film qui est véritablement bourré d’ingéniosité au niveau de l’exploitation du visuel et du montage. D’autre part, le film est enveloppé par des compositions musicales dignes des plus grands albums électroniques de la dernière décennies. Collaborateurs de Beck sur le désormais classique Odelay, The Dust Brothers ont composé une trame sonore à la fois excentrique, non répétitive et extrêmement inventive, baignant le film parfaitement dans des agencements "ambient" aux allures psychédéliques.
Ceux qui auront vu avant tout de la violence gratuite dans Fight Club ont tout simplement écouté le film qu’en surface. Dans un film où les combats sont synonymes de manifestation et de défoulement face à un mal de vivre présenté dans la plupart des vies des égarés réveillés de la société capitaliste du XXIe siècle, tout ce brouhaha n’aura pu être que la métaphore extrémiste d’une forme de réponse envers laquelle je n’aurai pu qu’être entièrement en accord. Faisant parti d’une certaine idéologie face à laquelle se trouve beaucoup d’incompréhension dans un monde où les gens ordinaires en ont que pour les vedettes, les shows télévisés et les mini téléromans que sont les nouvelles de fin de soirée, Fight Club nous présente un malaise où je me suis personnellement reconnu. À quelque part voulant réveiller tous ces égarés, mais en même temps, je me sentais impuissant face à la cause. Non pas seul, mais trop peu nombreux. Le tandem Fincher et Palahniuk nous font pénétrer dans les dessous bien vivant d’un monde ayant perdu ses valeurs fondamentales et s’étant réfugié dans l’artificiel. Un film au message essentiel qui sera dans les alentours pour encore bien des années. Un film culte qui ne mourra jamais. Réveillez-vous!