Pour beaucoup, Fight Club (adapté du livre éponyme de Chuck Palahniuk) reste le dernier film emblématique du premier millénaire. À sa sortie, le choc est si puissant qu'il devient très vite l'une des œuvres les plus controversées depuis Orange Mécanique. Parallèlement, son réalisateur, David Fincher, s'imposait lui comme un successeur crédible de Stanley Kubrick. Comme Seven quatre ans auparavant, le nouveau film de Fincher se détache par une absence de compromis rarissime pour une production à 70 millions de dollars.
La nouvelle création de David Fincher surprend d'abord par son nihilisme gonflé et sa verve insolente. L'ironie jubilatoire en voix-off permet à son héros-sans-nom de mitrailler sans retenue la société de consommation. Loin de cracher dans la soupe, le discours du film raille avant tout le corps social façonné en intégralité par l'illusion jusqu'à ce que l'organique n'ait plus qu'un goût synthétique. De manière tout aussi absurde, ce plaidoyer pour un retour des sensations s'accompagne d'une critique tout aussi véhémente d'une masculinité dangereuse puisque tournée vers la destruction sans proposer de nouvelles bâtisses.
À ce titre, Tyler Durden représente la donnée échappée de l'équation, celle qui peut tout changer pour le meilleur et/ou le pire. D'une lucidité à toute épreuve quant à l'impasse où mène le consumérisme, Durden entretient une ambigüité qui ne va que croître à mesure que le film avance. Idéal dans un rôle qui tord son image de mâle alpha, Brad Pitt explose tous les compteurs en bastonneur philosophe délicieusement anar, représentation dégénérée du surhomme nietzschéen.
Malgré cette dimension éminemment sulfureuse, Fight Club est incroyablement fun. Fincher voit ici l'opportunité de ciseler un pur manifeste punk, à la fois complètement destroy et visionnaire. Le film afflue de procédés cinématographiques au rendu dévastateur : caméra libéré des contraintes physiques, photogrammétrie pour reproduire un environnement ou des personnages, insertion d'images subliminales. Et ce n'est pas tout, en témoignent les petites sorties méta géniales (quatrième mur brisé, la mise en abyme au cinéma). Oui, on rit beaucoup de l'insolence d'une œuvre envers le système qui l'a engendrée.
Le film fini, on peut discourir sur sa portée (Sardonique ? Nihiliste? Facho?) mais en aucun cas sa vision ne laisse indifférent. En ce qui me concerne, il est tout simplement incontournable. Pour ce que j'ai évoqué plus haut. Pour la réalisation sublime de Fincher, pour la direction d'acteur mémorable. Je n'oublie pas Edward Norton, comme d'habitude parfait ou Helena Bonham Carter magnifique dans les pompes d'une Marla Singer à côté des siennes. Le travail de Jeff Cronenweth à la photo -lugubre et poisseuse à souhait - est juste incroyable. Les effets spéciaux sont bluffants. Et enfin les Dust Brothers délivre une bande originale dantesque. Quoiqu'on vous dise à son sujet (en bien ou en mal), ne retenez qu'une chose: il faut le voir.