Fin de concession par Jean Éleuthère
La critique des médias est salutaire. Pierre Carles s'y exerce depuis de nombreuses années, on ne peut que lui en être reconnaissant (rappelons qu'il a été viré à plusieurs reprises des chaînes de télés principales). Voilà donc le trublion qui reprend du service, avec pour prétexte le renouvellement automatique de la concession attribuée à TF1 depuis plus de 20 ans alors même que la chaîne n'a jamais respecté son cahier des charges initial. C'est l'occasion pour lui de régler quelques comptes avec certains pontes de l'oligarchie médiatique, de réaliser quelques sympathiques canulars, de provoquer des rencontres (parfois) enrichissantes, de théâtraliser ses difficultés à décrocher des entretiens avec les Pujadas et consorts, de se laisser aller à quelques débordements et ratés et surtout de se mettre en scène lui-même, d'une manière joliment chaplinesque.
Pierre Carles se veut en poil à gratter d'un système qui se complait dans sa médiocrité, et qui favorise sa propre reproduction (le film se clôt d'ailleurs sur ce constat là). Alors le voilà, parfois avec un déguisement qui n'en est pas un (le pseudonyme de Carlos Pedro et des lunettes à montures noires), qui tente de provoquer des réactions chez ses interlocuteurs prestigieux (Ockrent, Villeneuve, Mougeotte, Giesbert, Tapie, Pulvar, Elkabbach, Cavada, etc.) en leur posant des questions politiquement incorrectes, notamment sur la raison pour laquelle personne n'a jamais parlé de remettre en cause la concession de TF1, sur la complaisance des journalistes vedettes à l'égard du pouvoir, ou encore sur l'hostilité affichée vis-à-vis des mouvements sociaux et des représentants syndicaux de la part d'un Pujadas ou d'un Pernaut. Malheureusement, Pierre Carles ne parvient pas toujours à ses fins, soit qu'il ne décroche pas la rencontre tant espérée, soit qu'il se laisse prendre dans les mailles du filet de ces personnalités qui sont loin d'être nées de la dernière pluie. Il en fait d'ailleurs lui-même le dur constat.
C'est bien ça le problème majeur de ce documentaire : sur le fond, la machine tourne un peu à vide. Les seuls éléments réellement significatifs étant apportés par Jean-Luc Mélenchon (qui cite Voltaire fort à propos) et Arnaud Montebourg (qui explique en quelques mots le principe de la concession sur le réseau national hertzien). Pierre Carles ne démontre rien, il assène, et devient en cela le triste miroir du système qu'il entend dénoncer. En sortant de la salle, j'avais néanmoins le sentiment suivant : l'objectif était clairement ailleurs. Le film n'est ni pédagogique, ni didactique, ni riche en enseignements ou en conclusions. Pierre Carles serait plutôt un modèle réduit et français de Michael Moore, plus dans la provocation que dans la démonstration : la mise en scène de la dégradation du scooter de David Pujadas en est le parfait exemple. Ceux qui attendaient du film une critique fondée et argumentée du système médiatique en seront pour leur frais. Durant Fin de concession, on s'esclaffe plus que l'on apprend ou que l'on ne comprend. Mais si on voit le film comme un pamphlet déstructuré, comme une provocation justifiée, voire comme un film comique, on peut affirmer sans hésiter que Pierre Carles a magistralement réussi son coup.