Je ressentais une certaine réticence à aborder "Flashdance". Celui-ci m'apparaissait comme l'exemple typique de l’œuvre que nous avons tous l'impression de connaître, même sans l'avoir vu. Depuis quelques décennies, nombre de ses traits ont été moulinés dans le grinder de la pop culture : le stéréotype de la danseuse de "basse condition" qui se tue au travail pour pouvoir réaliser son rêve, les chorégraphies solo ponctuées d'une chasse d'eau ; les standards 80's que sont "What a Feeling" ou "Maniac"... Tout me semblait appartenir au territoire du déjà vu. Difficile d'avoir envie de voir un film qui a déjà une place dans notre imaginaire...
J'ai donc du me forcer un peu pour le démarrer, gardant l'espoir que sa mythification se soit faite sur les mauvais éléments. Bien m'en a pris, car je suis ressorti de la séance avec la furieuse envie d'écrire à propos du film, ce qui représente déjà à mon sens une forme de compliment adressé à une oeuvre, même quand le texte suggère un retour négatif. C'est en même temps pour moi également une forme d'insulte : transcrire en mots ce qu'on a pu penser d'une oeuvre peut potentiellement empêcher une oeuvre d'être interprétée différemment. Ce qui est justement un des problèmes qui me semble toucher "Flashdance".
Pour redonner sa chance au film, je pense qu'il faut d'abord laisser tomber les évidences : mettons de côté cette parabole sur le fait de croire en ses rêves et travailler dur pour qu'ils se réalisent. Laissons tomber cette histoire d'amour peu crédible entre une ouvrière et son patron. Concentrons nous plutôt sur d'autres thèmes, moins mis en avant.
Il y a notamment cette séquence où l'héroïne est avec son compagnon et fait un pas de danse improvisé. Son compagnon lui demande de le refaire. Elle refuse. Cela ne marche pas comme ça. Elle décrit alors la spontanéité inhérente à la danse : "Your body just moves on its own. Something inside of you just clicks. You take off and you're just gone. It's like you're somebody else for a second [...] Sometimes I can't wait to just go out there, and just disappear" puis elle pleure. Son compagnon la conforte et elle l'invite à toucher sa poitrine en dessous de son sweat.
Je trouve qu'une telle scène résume à merveille les thèmes formant ce qui m'est apparu comme le coeur de Flashdance. N'est-ce pas pour le moins particulier qu'une danseuse décrive le plaisir de son activité comme une forme d'autodestruction ? Et qu'elle mette en valeur ce rapport si singulier, presque étranger, à son corps ?
J'ai rarement lu ou entendu des personnes dépeignant "Flashdance" comme un film sur la lutte d'une femme avec son corps, sa sexualité et le regard des autres. Dès le début, Alex l'exprime assez explicitement lorsqu'elle se confesse au prêtre de sa paroisse : "I've been thinking a lot about sex lately". L’œuvre me semble judicieusement mettre en scène ce besoin d'exploration du corps et du plaisir que nous pouvons dégager de celui-ci, quitte à finir dévoré, englouti, par les sensations de ce dernier. Tout au long du film, Alex exprime diverses explosions d'émotions, qui peuvent agacer ou paraître ridicules, mais qui semblent à mon sens aller parfaitement avec sa logique : c'est quelqu'un qui aime sentir son corps se mouvoir et s'éprendre. Le film m'a semblé parsemé des allusions par-ci par-là, des petits détails que j'ai trouvé tout à fait appréciables, comme mettre l'accent sur cette main qui tremble au moment de mettre le vinyle sur la platine, ou cette idée de trouver de la danse partout dans le quotidien, comme la séquence où Alex parodie l'agent de police faisant la circulation.
"Flashdance" m'a semblé être un film beaucoup plus intéressant dès lors que notre regard cesse d'être captivé par le spectacle constituant paradoxalement le centre de son propos.
Ce qui m'a encore plus confirmé dans mon impression, c'est de ressentir tout au long de l'oeuvre l'ombre du chorégraphe et réalisateur Bob Fosse. Plusieurs références à ce dernier sont présentes, autant dans les choix de mise en scène (montage rapide et saccadé, érotisme empreint d'effroi, fragmentation des parties du corps, utilisation d'accessoires sur la scène), mais également dans les répliques, jusqu'à la citation directe, avec l'affiche de "All That Jazz" dans la salle de répétition. J'ai trouvé dans cet hommage une sorte de confirmation que la comédie musicale passait à une nouvelle ère, changeait d'époque et de codes visuels/musicaux. Le film est ainsi régulièrement qualifié de "clipesque", généralement de manière péjorative. Je ne partage pas cet avis. J'aime les clips musicaux et la manière dont ils offrent une alliance différente du son et de l'image. J'ai donc totalement adhéré à ce nouvel abord de la comédie musicale proposé par "Flashdance".
Parmi les autres détails m'ayant plu, je note aussi le choix du monde de la soudure, lui aussi régulièrement critiqué pour son manque de crédibilité. Pour ma part, je l'ai trouvé plutôt judicieux, puisqu'il s'agit d'un endroit hautement symbolique où le corps vit nombre de sensations : amas de chaleur, de fumée et de poussière, jusqu'aux étincelles qui peuvent nous brûler les yeux ! Un parallèle bienvenu avec le destin de Jeanie, échouant à son audition de patinage artistique et intégrant un club de strip tease, où les corps ne dansent plus tellement qu'ils s'exhibent dans une nudité ravageante. On peut toujours glamoriser l'idée de se produire sur scène, mais celle-ci suppose de s'offrir à un regard écrasant...
Même l'audition de fin m'a paru clairsemée de détails intéressants : plutôt que de se poser comme un lieu où il s'agit de montrer que nous rentrons bien dans les normes imposées (je pense ici à "Billy Elliott", vingt ans plus tard), il semble plutôt s'agir ici de trouver un espace nous permettant d'exposer ce qui est en nous, la somme de ce qu'on nous avons récolté, et dont la singularité du mélange témoigne de notre empreinte personnelle. La preuve en est quand des pas de break, inattendus, débarquent au milieu de sa chorégraphie.
J'en viens à me demander si la déferlante de haine que se prend "Flashdance" depuis des décennies n'est pas liée à ce sentiment de vouloir un peu trop y croire, de se fourvoyer un peu trop dans l'idée que le film allait nous titiller là où le voulaitt, alors que son potentiel me semble situé bien ailleurs ? C'est à ce titre intéressant de voir que nombre de critiques semblent n'avoir retenu que le potentiel érotique de son actrice principale. On croirait lire une forme de frustration à ne pas pouvoir assouvir les désirs suscités par ces corps mis en mouvement. Ce qui est finalement une mise en abyme tout à fait délicieuse, puisqu'une bonne moitié du film se déroule dans des clubs où des gens sont prêts à payer pour alimenter leur frustration de spectateur. Le film est finalement plutôt prude et chastise toute tentative d'érotisme : la scène au club de strip tease, lieu où on voit "enfin" des corps dénudés se termine particulièrement mal. De la même manière, les scènes au confessionnal ne nous font pas oublier que tout plaisir se paie d'une certaine forme de culpabilité, et que nos ambitions finissent par nous dévorer : "I want so much" déclame Alex tout en pleurant...
"Flashdance" m'est donc apparu comme un film bien plus subtil qu'on aime à le dépeindre. Je comprends néanmoins la plupart des critiques adressées au film, notamment cette faiblesse de profondeur des personnages autres que l'héroïne. La relation amoureuse n'est pas très intéressante à suivre et l'ensemble manque globalement de crédibilité. Néanmoins les éléments formant le coeur même du film, à savoir la danse, le rapport au corps, à la sexualité, à la féminité, m'ont semblé judicieusement exploités, intelligemment intriqués les uns aux autres, assez pour que je propose de redonner une chance à "Flashdance".