J'avais très peur de ce revisionnage, car c'est un film qui a très mal vieilli dans ma mémoire, et sur lequel j'ai fait un virage à 180° concernant certains de ses aspects (spoiler sur le reste de mon avis : le personnage de Jenny), notamment car j'ai plus de vécu qu'à 20 ans et une perspective assez différente sur le cinéma en général.
Mais si je m'attendais à vomir complètement le film, j'ai aussi été surpris car il y a des éléments qui fonctionnent superbement bien, malgré tous les reproches que j'ai à faire au film. Les personnages de Jenny et Lieutenant Dan apportent une humanité folle au film, et il n'est jamais aussi touchant que lorsque ces deux là interagissent avec Forrest. Gary Sinise est mémorable en Dan, et Robin Wright éblouissante en Jenny, un personnage compliqué à jouer et à apprécier. Un idiot (le moi d'il y a 10 ans) pourrait facilement la réduire à une connasse qui manipule un simple d'esprit et joue avec son cœur, mais ce serait ignoré toute la profondeur du personnage, sa douleur constante, et les abus qu'elle a subi toute sa vie. Et on en vient à un gros problème que j'ai avec le film, la façon dont il traite le personnage. Outre l'interprétation conservatrice du film qui est tout à fait valable, même si je pense que c'est une énorme maladresse du scénario (j'y reviendrai), j'ai l'impression que le film se sert de sa douleur et de son trauma pour essayer de donner un peu de contraste à Forrest, et tout ce qu'elle fait doit forcément à un moment donné être ramené à Forrest pour faire avancer son histoire.
Mais en dehors de quelques éléments, l'écriture globale du film me laisse assez dubitatif, car il a constamment le cul entre deux chaises. D'un côté on peut voir une forte volonté satirique sur le rêve américain, où un demeuré réussi tout en suivant les ordres pendant que Jenny, questionnant le système, est victime de toutes les merdes possibles, mais je trouve ça très maladroit dans l'exécution et il est facile d'en retirer un message conservateur même si ce n'était sans doute pas l'intention initiale. De plus je suis sûr que la volonté satirique se trouve aussi dans toutes les figures historiques que rencontrent Forrest, mais c'est plus gênant qu'autre chose, la rencontre avec John Lennon par exemple est digne de la fin de Fant4stic niveau malaise. D'un autre côté, le film se prend aussi beaucoup trop au sérieux et cherche trop souvent à nous émouvoir sans produire l'effort nécessaire pour que ça fonctionne réellement. Enfin je trouve que c'est aussi un film beaucoup trop centriste dans son message, et à mes yeux c'est plus gênant que son interprétation conservatrice. Le film n'a rien à dire, et ne cherche pas à dire quoi que ce soit, mais le fait en plongeant constamment son protagoniste dans des moments clivants de l'histoire américaine.
Au-delà de l'écriture, c'est un film assez compétent dans sa réalisation, avec des images qui mémorables, des acteurs excellents, et une très belle composition d'Alan Silvestri. Mais c'est aussi immonde au niveau de la musique, les needle drops s'enchainent jusqu'à l'écœurement, même Suicide Squad a plus de retenu à ce niveau là. Non seulement Zemeckis choisit les morceaux les plus connus possibles, mais il les utilise souvent de la manière la plus prévisible, et en plus pendant quelques secondes pour enchainer derrière sur quelques secondes d'un autre morceau connu, et ainsi de suite, comme s'il voulait juste se vanter d'une playlist Spotify spécialement destinée aux boomers.
Au final, je trouve que Forrest Gump est un film profondément schizophrène, un gros ramassis de merde dans lequel des grands moments de cinéma fourmillent, ou bien un bon film gâché par des aberrations d'écriture, je vacille entre les deux, mais ce qui est sûr c'est que ce revisionnage m'a permis d'y voir plus clair concernant mon appréciation du film, et ce que je sais, c'est que je ne n'ai aucune idée de quoi en penser. Il y a des moments que j'adore dans le film, mais l'ensemble ne fonctionne pas autant que je l'aimerais.