Beaucoup de talent mais...
La critique est unanime : c'est un chef d'oeuvre.
Alors, oui, effectivement, la réalisation est ultra-maitrisée. L'image est belle, les plans soignés, le montage digne des grands Coppola ou Pollack des années 70/80. Les acteurs offrent des performances remarquables, on les sent tous habités par leurs personnages et chacun sort de son registre habituel pour créer quelque chose d'inédit (même si c'est moins vrai de Channing Tatum qui est habitué aux rôles de costaud un peu limité du bulbe). Le scénario, labellisé "histoire vraie" (pour certains, c'est un gage de qualité, allez comprendre pourquoi) est plutôt intéressant dans son approche de la folie et la façon assez originale dont il s'en prend au rêve américain et à l'esprit sportif. Quant aux dialogues, certains ont le potentiel pour devenir culte ("ornithologist, philantropist, philatelist" par exemple)
Mais au final, on ressort avec une impression de vide, avec l'impression d'être passé à côté de quelque chose qui aurait pu (qui aurait du?) être plus fort, plus intense, plus profond, plus passionnant.
Alors, je me dis que je suis effectivement passé à côté de quelque chose dans ce film, qu'une idée, peut-être évidente, m'a échappé. Pour être honnête, je me suis un peu ennuyé. J'ai vu beaucoup de qualités dans ce film, à commencer par sa sobriété, mais je n'y ai pas vu le chef d'oeuvre qu'on m'avait promis.
Peut-être est-ce le choix du sujet. L'entrainement d'un lutteur et l'emprise que tente d'exercer sur lui un millionnaire excentrique n'a certes pas l'ampleur d'un film de gangsters comme "Le Parrain" ou le rythme survolté du "Loup de Wall Street" mais, sur le même registre, Paul Thomas Anderson m'avait pourtant impressionné avec "The Master".
Là, on est plus, et c'est logique, dans l'esprit du précédent film de Bennett Miller : "Le Stratege". Les ingrédients sont les mêmes, simplement ils sont poussés plus loin : histoire vraie, sport, solitude des personnages, acteurs en contre-emploi, sobriété de la réalisation... Une fois de plus, le rythme n'est pas le point fort et le public habitué aux blockbusters qui viendrait uniquement pour les acteurs risque de rester sur le bord de la route.
D'ailleurs, on peut se poser la question de l'intérêt de prendre ces acteurs pour jouer des rôles qui ne leur ressemblent pas du tout. OK ils sont talentueux. OK ils veulent des récompenses (on imagine). Mais pourquoi prendre Steve Carrell et lui faire subir deux heures de maquillage tous les jours plutôt que de prendre un autre acteur talentueux qui aurait un physique plus proche. Même si la performance est plutôt impressionnante (ridicule selon certains quand même), on ne peut s'empêcher de penser "Putain mais c'est Steve Carrell". On comprend l'envie qu'il a eu de casser son image et de prouver à ceux qui en doutaient qu'il peut jouer des rôles très différents, être dans la retenue, voire même faire flipper.
Mark Ruffalo est au final plus convaincant dans son rôle, un peu ingrat au début, puis de plus en plus intéressant au fil du film, de frère-entraineur, mais celui qui m'a le plus impressionné c'est Channing Tatum.
Il faut bien avouer que, l'ayant découvert dans l'un des plus gros navets produits ces dernières décennies ("GI Joe"), et bien que l'ayant vu plus à son avantage chez Soderbergh ou plein d'autodérision dans "21 Jump Street", je ne m'attendais pas à le voir si convaincant en sportif misérable et mal dans sa peau, la mâchoire plus carrée et le regard plus vide que jamais (un mélange de Bruce Willis et Pascal Duquesne, en gros). Ses gestes maladroits et son visage rentré, sa présence quasi-mutique, son côté un peu beauf sans être dans la caricature (le rôle aurait pu faire penser à celui de Mark Wahlberg dans "Pain & Gain" mais non), tout est juste. Et il semble évident que la carrière de Tatum, déjà star chez les jeunes filles en fleur (grâce à "Street Dance", "Magic Mike" et "Je te promets") et chez les amateurs d'action (grâce à "Fighting" notamment), va prendre encore plus d'ampleur avec ce film. Surtout quand on sait qu'il sera à l'affiche du prochain Tarantino, également chez les frères Coen mais aussi dans la SF avec le "Jupiter" des Wachowski et les prochains "X Men". En gros, il sera partout.
Pour en revenir à "Foxcatcher", il faut bien admettre que, malgré ses nombreuses qualités, je suis resté un peu sur ma faim. Comme si Miller ne savait pas vraiment (ou n'avait simplement pas envie de) nous immerger dans l'action. On se sent toujours un peu en surface de l'intrigue et, personnellement, j'ai eu du mal à rentrer dans le film. Sur ce point, ça m'a un peu fait penser à "American bluff" qui, lui aussi, mettait en scène des personnages sans envergure, interprétés par des acteurs postichés à contre-emploi et trouvait son réel intérêt dans sa dernière partie. Mais David Russell possède ce côté virtuose qui nous permet d'accrocher plus facilement et qui était d'ailleurs à son apogée dans "Fighter", film qui partage aussi de nombreux points communs avec "Foxcatcher" (sport, histoire vraie, années 80, misère sociale, deux frères, la drogue, la déchéance, le dépassement de soi, le rêve américain...).
En fait, je cherche en vain des reproches à faire à ce film. Objectivement, il n'a pas vraiment de défauts, et c'est sans doute ce qui a tant plu aux critiques. Mais il n'a pas non plus l'étincelle, la magie qui en ferait un très grand film.
Oui, il est nettement au dessus de la moyenne des sorties actuelles. Oui, certains plans restent ancrés dans la tête par leur force esthétique ou la puissance des acteurs. Oui, le nombre de thèmes abordés, l'air de rien, est assez fou. Seulement, le film ne nous emmène finalement pas bien loin, ne va pas vraiment au bout des idées qu'il amorce et n'explique pas grand chose de ce qu'il montre. Quant au rythme, on peut le trouver classique à l'extreme, il peut aussi passer pour pompeux, académique, voire chiant. Et je ne parle pas du fait qu'il manque de scènes d'action ou de suspense, d'enjeux sportifs, car ce n'est pas vraiment le sujet du film. Simplement, il est trop froid pour procurer des émotions intenses et, mis à part deux ou trois moments bien précis, la qualité technique, présente à tous les niveaux, ne sert pas grand chose. Mais j'avoue que je le regarderai à nouveau avec plaisir dans quelques années, histoire d'apprécier différemment et y trouver éventuellement toutes les choses que je n'ai pas vu du premier coup.