Complètement absurde mais cruellement réel

Ce film surréaliste aux personnages charismatiques et aux gueules cabossées, signature de Bruno Dumont, dénonce les dégâts de la médiatisation qui, (je rajoute) touchent non plus que les célébrités du petit écran, mais aussi tout un chacun, exhibant inconsciemment sa vie depuis son smartphone, depuis l'émergence des chaînes Youtube, de la télé-réalité et des réseaux sociaux. Les oeuvres littéraires comme « Les choses humaines » de Karine Tuil ou « Les enfants sont roi » de Delphine De vigan font le même constat, dérive de notre époque.
Dès lors qu'une personne est médiatisée, n'existe plus ce barrage vital entre la femme publique et la femme privée (ou l'homme). La célébrité n'a pas que du bon et il faut être particulièrement blindé mentalement pour la supporter. France, journaliste renommée, en fait le constat amer ; sa notoriété est devenue un véritable fardeau à porter dans tous les moments de sa vie. Elle ne supporte plus le regard des autres. Lorsqu'elle devient la femme privée et se débarrasse de son manteau de journaliste, les gens la voient toujours comme une célébrité, objet de leur convoitise. France ne s'appartient plus elle-même mais appartient à son public, qui a besoin de la toucher ou de se prendre en photo avec elle. Les gens l'envient mais ne la respectent à peine. Ils ne la considèrent pas en tant qu'être humain mais en tant qu'objet esclave, qui leur appartient même, et qui leur doit bien un autographe ou une photo, puisque cet objet médiatique s'invite tous les soirs dans leur salon au travers du petit écran et, que c'est grâce à leur regard qu'elle a fait fortune.
Le film montre également que le matériel, le besoin immédiat d'obtenir quelque chose, a tué notre humanité. On profite de la détresse des autres, quitte à vendre son âme, pour arriver à ses fins, sortir un article, un reportage, avoir de l'audimat, des lecteurs, un bien matériel, un scooter, un autographe... Absorbés par nos smartphones et, en quête d'amour et de like virtuels, on n'écoute plus les gens qui nous entourent, ni ne les regardons dans les yeux ; on sacrifie nos proches.
France ne se retrouve plus dans ce monde, même si elle reçoit ce qu'elle-même a semé impunément dans son métier de journaliste. Y a-t-il une issue à ce chaos ? Non, c'est la vraie vie, on n’est pas dans « Truman Show ».
Le film m’a fait penser à « Vivarium » sur la thématique : on a tout pour être heureux, une jolie maison, un enfant etc… et pourtant on ne l’est pas, on est prisonnier de cette vie idéalisée. J’ai aussi pensé à « Mother » sur l’intrusion d’inconnus dans sa sphère privée et qui finissent par nous manger « tout cru » (autant au sens figuré qu’au sens propre), même si ici le sujet est traité de façon totalement différente et, quand même moins trash.
J’aime beaucoup la façon de Dumont à mettre en lumière l’absurdité du comportement humain. J’ai trouvé la réalisation, le montage, la photo, le choix des acteurs et des décors parfaits.