L'être humain étant si complexe et si protéiforme, il est parfois difficile d'expliquer pourquoi une oeuvre d'art résonne en nous là où elle a laissé tant d'autres indifférents. Sans vouloir tomber dans des discours philosophiques pompeux, c'est ce qui fait la beauté de l'art sous toutes ses formes : musique, cinéma, peinture, sculpture ... chacun en a une interprétation différente, et au final, chaque point de vue se vaut.
Frances Ha me semble être ce type de film qui divise les spectateurs. Beaucoup, je pense, y verront un film arty un peu branleur et qui s'écoute parler, plein de poses hipster et de moments de creux se voulant profonds. Et je comprends ce point de vue.
Mais en dépit de ces (potentielles) fautes, j'ai trouvé le film fantastique.
Au delà de caractéristiques techniques (le film est entièrement en noir et blanc, lui conférant une aura digne des vieux Woody Allen, Manhattan en tête), l'oeuvre de Noah Baumbach entre en état de grâce au travers du coeur et de l'humanité qui émane d'elle émane à chaque minute.
L'histoire (qui n'est pas vraiment une histoire) est celle de Frances Halladay. Jeune danseuse paumée sans vraie ambition, elle vivote au jour le jour avec sa meilleure amie et colloc, Sophie (très bonne Mickey Sumner). Leur relation est fusionnelle, sans tabou et pleine d'humour et de discussions insensées. Il n'y a pas de faux dialogues, tout sonne vrai et naturel : ça n'a pas forcément de sens et ça part un peu de tous les côtés. C'est un peu comme si on avait posé nonchalamment la caméra dans un coin de la pièce et qu'on regardait deux vraies potes parler de leur dernier plan cul ou du film qu'elles ont été voir.
Sauf qu'un jour, Sophie déménage, Sophie rencontre un mec, et Frances ne sait plus trop quoi faire. De rencontre en rencontre, de fausses bonnes idées en voyages impromptus, elle part en peu en vrille, erre dans la ville et dans sa vie. Il n'y a pas de vraie linéarité, on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer, et l'on est jamais particulièrement convaincu de l'importance de chaque évènement. Mais peu importe : Frances Ha, c'est comme la vie, ça fluctue, ça prend des sens interdits et des impasses, et puis parfois plein de petits évènements aboutissent à rien du tout.
L'âme du film, c'est avant tout le personnage de Frances, formidable Greta Gerwig qui existe plus qu'elle ne joue. Après tout, elle est aussi la source du film, puisque le réalisateur est son compagnon et qu'elle a co-signé avec lui le scénario. Avec un charme maladroit et attachant, un naturel désarmant et une façon très particulière de parler, elle respire l'humanité, dans toutes ses incarnations. C'est une révélation (on l'avait vue jusqu'ici dans des seconds rôles de ciné indé).
Le moment de grâce du film (qui le définit parfaitement en une minute quarante), c'est cette scène (clique, va !). Lors d'un diner, Frances explique sa vision d'une relation réussie. Sa définition peut aussi bien s'appliquer à une amitié qu'à une histoire d'amour, et sonne surtout juste.
Parce que le film est avant tout une superbe histoire d'amitié, dans laquelle n'importe qui pourra se retrouver. Avec ses hauts et ses bas, ses engueulades et ses réconciliations, ses moments de doute, ses soirées alcoolisées, ses déclarations pleines de regrets et ses faux pas.
EN BREF :
Je ne peux pas vous assurer que vous adorerez Frances Ha autant que moi, pour la simple et bonne raison que je ne vous connais pas. Le film de Baumbach et Gerwig est si foncièrement ancré dans la nature humaine qu'il peut provoquer mille et une réactions imprévisibles. Tout ce que je peux assurer, c'est que si vous êtes comme moi, profondément nostalgique et extrêmement emphatique, vous tomberez sûrement amoureux de la petite vie simple et des grandes émotions complexes de Frances.