Burton outragé ! Burton brisé ! Burton martyrisé ! Mais Burton libéré ! Depuis plus d’une dizaine d’années, ce génial cinéaste et cinéphile américain a subi les pires ignominies. Son nom a été sali, son corps a été jeté en pâture à des corbeaux médiatiques, apôtres d’un cinéma qui fuyaient la bizarrerie, l’étrange et la poésie noire comme la peste. Timothy William Burton est un incompris, un marginal comme ses personnages, le fils spirituel d’Edgar Allan Poe et de Vincent Price dont les oiseaux de mauvais augure considéraient « Sleepy Hollow » comme le point final d’une brillante mais courte carrière.
S’il a pu s’égarer, tenté par le profit et soumis aux exigences des producteurs, il n’en reste pas moins qu’il a offert durant la décennie 2000 quelques pépites cinématographiques. Comment oublier « Big Fish », « Charlie et la chocolaterie », « Les noces funèbres » et « Sweeney Todd » ? Depuis le plus que discuté « Alice », Tim Burton venait d’ajouter à sa galerie des monstres le personnage si iconique du vampire avec « Dark Shadows » qui venait clouer le bec à de nombreux journalistes aigris.
Revigoré comme jamais, le réalisateur américain vient de faire taire à jamais ses plus farouches détracteurs avec ce « Frankenweenie », version allongée du court-métrage sorti en 1984 déjà pour le compte de Disney. Ce film marque sans aucun doute un bilan dans la carrière de Tim Burton. Autobiographique, peut-être même plus que « Ed Wood », faisant appel à une multitude de monstres, brassant des thèmes chers au réalisateur, rendant hommage au cinéma en noir et blanc, conviant des amis de toujours (de Danny Elfman à Martin Landau), « Frankenweenie » est un film-somme et un véritable bonheur pour tout burtonophile qui se respecte.
Victor, jeune homme solitaire, féru de sciences, partage tout son temps libre avec Sparky, son chien. Lorsque celui-ci est renversé par une voiture, Victor le ressuscite grâce aux cours de physique de M. Rzykruski sans savoir que cet acte allait déclencher toute une série d’imprévus alimentés par la jalousie de ses camarades de classe. Renouant avec cette formidable technologie qu’est la stop-motion, Tim Burton ne cache pas dès les premières scènes les troublantes ressemblances entre sa vie et celle de Victor : un enfant timide, solitaire, réfugié dans une passion commune (le cinéma), vivant dans un pavillon tout droit sorti de la banlieue hollywoodienne (Burbank étant la ville de naissance de Tim Burton).
Pour autant, Tim Burton est un cinéaste avec un grand C et il oriente très vite son récit en abandonnant le côté autobiographique pour raconter une histoire et délivrer même une petite sociologie à peine caricaturale de la « banlieue chic américaine » : la voisine enrobée qui parfait son teint au soleil, le maire véreux pour qui ses statues de flamands roses et ses fleurs sont la prunelle de ses yeux. Sans oublier les enfants croqués avec une justesse inouïe : le petit moche malintentionné, la gothique en dépression permanente, le grand brun patron de la cour d’école, le chinois intello et orgueilleux, la folle accrochée à son chat diseuse de bonne aventure…
Après ces enfants monstrueux, souvenirs paradoxalement douloureux et ironiques de son enfance, Tim Burton complète sa galerie des monstres de ce film par des créatures qui renvoient aux classiques de l’horreur ou du fantastique au cinéma : Frankenstein bien évidemment, Godzilla, Dracula ou le vampire plus généralement, la momie, le loup-garou et l’étrange créature du lac noir (de Jack Arnold en 1954, l’un des premiers films à utiliser la 3D anaglyphe). La boucle est bouclée, l’hommage au septième art imprègne chacun des plans.
Mais ce serait mentir que d’affirmer que ce film est réservé aux cinéphiles ou aux burtonophiles. Se moquant aisément du cinéma hollywoodien et de ses facilités scénaristiques (la classique scène du baseball où l’on attend que le batteur réalise un exploit en expédiant la balle au-delà des limites du terrain avec un suspense insoutenable revisitée à la sauce burtonienne, la scène de la résurrection, les scènes au cimetière des animaux de compagnie…), « Frankenweenie » narre une histoire drôle, touchante et émouvante qui plaira aux petits et aux grands au-delà des inspirations, des influences et des références.
Cette histoire d’amitié entre un chien et son maître, cette fidélité comparable à celle qui réunit à nouveau tous les compagnons de route de Tim Burton depuis maintenant plus de 25 ans (Danny Elfman compose encore une superbe bande-originale) conquerra n’importe lequel d’entre vous. En voyant ce film, j’ai compris pourquoi j’aimais tant le cinéma. Merci M. Burton pour cet émerveillement perpétuel et renouvelé depuis que j’ai franchi les portes d’un cinéma pour y découvrir « Edward » il y a maintenant près de 15 ans.