Il est intéressant de voir François Ozon s'inspirer de Broken Lullaby, classique du film pacifiste des années 30. Une histoire de culpabilité et de pardon dans l'immédiate après-guerre (la première). Lubitsch prônait l’amitié des peuples et poussait un cri contre la guerre avec la volonté d'affirmer "plus jamais ça" ; un voeu pieu laissé lettre morte et non repris ici (car entre temps, il y a eu la seconde).


Au sens propre et figuré, Frantz dépasse son modèle, le Français imposant un sens du récit plus efficace (Adrien- Pierre Niney ne révélant pas tout de suite la vraie nature de ses rapports avec Frantz) et insufflant un supplément de romanesque à une idée déjà forte dramatiquement (l'amour entre une allemande et un français est-il possible ? vrai dilemme qui fait les grandes histoires du cinéma). Mais Ozon dépasse aussi le cadre même du récit, ajoutant à la partie allemande, une partie française : à l'intrusion d'un Français en Allemagne, s'ajoute la venue d'une Allemande en France. Plus encore, Ozon fait de Frantz un vrai jeu de miroir, montrant deux pays identiques, meurtries dans leur chair mais encore engoncées dans un nationalisme pur et dur (avec déjà côté allemand, les germes du futur nazisme). Les scènes peuvent ainsi se répondre : des deux côtés du Rhin, on chante les hymnes avec la même ferveur, on a les mêmes marques de xénophobie et on visite les mêmes cimetières. France et Allemagne apparaissent comme deux frères ennemies finalement très proches qui pourraient être réunis pour le pire dans un même malheur ou pour le meilleur par un même amour des arts, la poésie (Rilke et Verlaine), la peinture de Manet et la musique.


Dans le même ordre, Adrien et Frantz ne sont qu’une seule et même personne, symbole d’une jeunesse pacifiste, fauchée en plein vol par le nationalisme belliqueux. Le film entretient d’ailleurs le fantasme qu’Adrien - le vivant - puisse remplacer Frantz - le mort - dans le cœur d’Anna (Paula Beer – vraie révélation du film). Arrivant à résumer toute la guerre 14-18 en en traitant les conséquences et par seulement quelques images chocs (une gueule cassée, quelques infirmes, les ruines d’une ville détruite vue dans le reflet d’une vitre de train), Frantz traite aussi de la question de l’état-nation, et des dangers du nationalisme. Pour cela, il se place justement au moment du traumatisme initial (les 20 millions de morts de la première guerre mondiale) qui a fini par aboutir au début de la construction européenne 40 ans plus tard.


Tout comme l’amour entre Adrien et Anna, l amitié franco-allemande est finalement possible mais cette utopie est fragile – symbolisée par la couleur – et la vie – qui parvient difficilement à remplacer le noir et blanc qui plombe la majorité du film dans le drame. Et si François Ozon a choisi d’exhumer cette vieille histoire que l’on aurait espérée dépassée, c’est peut-être que la situation européenne actuelle tend à ramener les peuples européens dans les mêmes dispositions refermées et xénophobes d’avant 1914, faisant de Frantz, au-delà de son histoire belle et romanesque, un rappel hautement nécessaire.

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le 23 sept. 2016

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denizor

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