Muet, thriller, dramatique, comédie musicale, noir, romantique... depuis 1924 avec La galerie des monstres de Jaque Catelain et popularisé en 1932 par Tod Browning dans Freaks, la monstrueuse parade des monstres de foire jalonne les décennies de l'histoire du cinéma sous divers genres et interroge sur l'humanité, la peur et la différence.
Freaks out se présente comme une alternative plus sensorielle aux mutants de Charles Xavier. Le film de Gabriele Mainetti est en quelque sorte l'anti-Marvel, aujourd'hui standardisé. Après le rafraîchissant On l'appelle Jeeg Robot, le cinéaste italien poursuit son observation des super-héros à l'européenne sous un versant plus réaliste pendant la seconde guerre mondiale dans l'Italie fasciste. Une première idée de ce que pourrait être La brigade chimérique de Serge Lehman, Fabrice Colin et Gess si un jour elle était adaptée au cinéma.
Les quatre fantastiques de ce conte contemporain, Mathilde, Fluvio, Cencio et Mario sont des monstres de foire dont l'approche filmique de leurs pouvoirs et de leurs histoires fait renaître le mythe du super-héros pour le transformer en un récit de guerre fantastique. L'onirisme s'abat sur l'Histoire de sa mise en image poétique, de la complicité solidaire de ce petit groupe désormais livré à lui-même. Les personnages ne manquent cependant pas d'humour pour dédramatiser les situations les plus horribles. Un humour au sous-texte plus mélancolique, ce qui accentue la gravité, mais en la dissimulant dans la légèreté. Gabriele Mainetti saisit ainsi parfaitement cette subtilité narrative qui maintient tout du long les grands enjeux dramatiques de l'histoire co-écrite avec Nicola Guaglianone.
Le réalisateur se démarque donc en adoptant une démarche plus humaine de ses personnages. Ces monstres dont la différence amuse puis effraie s'accommodent malgré eux de cette tragédie humaine de la haine viscérale de la différence. Freaks out est une allégorie assumée de la déportation juive et un miroir évident de ce qu'est la vraie monstruosité, celle de la guerre, des tortures et de l'inhumanité des Hommes. La violence de l'oeuvre est palpable et démonstrative, la sexualité aussi intime qu'érotique, mais jamais un prétexte fallacieux dans un récit toujours cohérent et crédible.
Les inspirations comics sont évidentes quand il est question de dépeindre l'antagonisme nazi sous les traits de l'impeccable Franz Rogowski. Son personnage de monstre est plus subtile qu'il n'y paraît, son background étant aussi travaillé que celui des monstres en fuite. Pour le réalisateur il ne s'agissait pas seulement de caractériser les méchants par le nazisme. La profondeur qu'il injecte dans ces monstres, les vrais, démontre une maîtrise totale de son sujet. Si l'écriture de Fluvio (Claudio Santamaria), Cencio (Alexis Tomassian) et Mario (Giancarlo Martini) est plus simpliste dans certains dialogues, leurs personnages étant déjà plus aguerris avant même que l'histoire ne commence, sont bien plus complexes et complets dans leur jeu. Quand les images, la gestuelle et les regards sont plus évocateurs que les mots, l'art cinématographique y gagne beaucoup.
Et il y a Mathilde, coeur électromagnétique du long-métrage incarné par la justesse et la présence hypnotique d'Aurora Giovinazzo. C'est l'adolescence, c'est l'innocence perdue au milieu de la guerre, c'est un pouvoir insoupçonné et une responsabilité trop lourde à porter. Son jeune et subtile personnage est à lui seul la symbolique destructrice de la guerre. Le contrôle de son pouvoir ne passe pourtant pas par celui de ses émotions. Le véritable catalyseur de cette maîtrise c'est la vérité, la réalité de la violence des Hommes, des horreurs qu'elle voit et qu'elle subit.
Freaks out est économe en démonstration des capacités de ses personnages. Le pouvoir, bien que réel, en est une autre symbolique. Le réalisateur s'accroche à l'idée de l'importance de celui qui le manipule. Seule l'acceptation et la résolution des conflits internes peuvent être la clé de voute de leur libération, celle de leur mentor (l'envoûtant Giorgio Tirabassi) et celle de l'humanité. Cela dit, la réalisation de Gabriele Mainetti n'est pas moins spectaculaire. Les séquences de guerre, l'onirisme de l'introduction, les fusillades, l'utilisation iconique des pouvoirs, l'évolution de Mathilde, la mise en scène globale dont la superbe photographie de Michele D'Attanasio, la musique de Michele Braga et Gabriele Mainetti, la richesse des décors (Ilaria Fallacara) et des costumes (Mary Montalto) s'accordent parfaitement avec ce cinéma du divertissement d'auteur. Une bouffée d'émotion pure et sincère.
L'oeuvre est assez longue, certaines situations ont une fâcheuse tendance à se répéter. Si cela est cohérent avec le sujet et le cercle vicieux de ce cirque humain des horreurs, il est vrai, bien que rarement, des scènes ont tendance à tirer en longueur. Cependant, la richesse du récit et de ses rebondissements évitent l'ennui, le film n'échappera simplement pas à quelques courts moments moins percutants.
Freaks out s'affirme comme une des plus belles proposition alternative d'un genre en fin de parcourt n'arrivant définitivement que trop rarement à se renouveler. Gabriele Mainetti signe là une histoire chargée d'une émotion mélancolique surnaturelle et spectatculaire.