Je ne peux pas blairer les films de super-héros.
Au-delà du criant manque de cinéma dans la plupart d'entre eux, qui ne sont que divertissement et rarement art (ce qui me fait me ranger derrière l'avis de Martin Scorsese), je n'aime pas l'image du super-héros dans son ensemble. L'homme (ou la femme, trop rarement) providentielle qui vient sauver le monde d'un danger qui menace le plus souvent les status quo, et qui bat le méchant sans jamais répondre à la problématique qui l'a fait émerger, est un personnage qui me débecte, d'un point de vue moral et politique. Et c'est surtout l'absence de remise en question de l'action unilatérale et anti-démocratique du super-héros qui m'effraie, d'autant plus dans un monde où le culte de la personnalité et l'autoritarisme fait son lit dans les espoirs maladifs en des individus providentiels qui nous rendrait force, courage et honneur. Ainsi je suis particulièrement rétifs aux films qui feignent d'aborder la question (les deux exemples les plus remarquables de dangerosité étant Captain America : Civil War et Watchmen : Les Gardiens), et ceux qui n'adressent jamais la problématique soulevée par le méchant et ne font maintenir que le statu quo (au-delà des moyens, Thanos a-t-il raison de craindre l'effrondrement de la galaxie à cause de la surpopulation ? Pourquoi la violence est-elle illégitime du côté de Magneto pour se battre contre les discrimination et légitime du côté du Professeur Xavier pour maintenir une forme de statu quo ?).
Ainsi, les seuls films de super-héros que j'aime sont ceux qui prennent un pas de côté. Les Spider-Man de Sam Raimi parlent de la précarité sociale et ses conséquences sur nous, le commun des mortels, en prenant un personnage principal galérien et fauché (avant d'en faire, vomisserie absolue, un petit fdp macroniste dans le MCU). Les X-Men (les deux premiers de Bryan Singer surtout) allégorisent la question des droits LGBT et des minorités de toutes sortes avec ces mutants se retrouvant mutant du jour au lendemain. Enfin, le seul super-héros, se posant lui-même la question de la légitimité de son pouvoir est le Batman de Christopher Nolan, mais le fait que Bruce Wayne fasse partie des causes des inégalités que la chauve-souris combat est adressé, mais jamais résolu.
C'est dans cette position que j'aborde Freaks Out, le film de Gabriele Mainetti, comme j'avais également abordé Comment je suis devenu super-héros de Douglas Attal. Et quelle claque ! Il y a plus de cinéma dans Freaks Out que dans 90% des films super-héroiques des majors.
Le génie de ce film saute aux yeux dans les dix premières minutes du film. Sous un chapiteau de cirque, on présente aux spectateurs (ceux du cirque, et nous, par la même occasion) nos protagonistes et leurs pouvoirs. Cencio qui contrôle les insectes, Mario le petit clown magnétique, Fulvio l'homme-bête, Matilde qui contrôle l'électricité et le vieux Israel, le patron du petit cirque. Petit les dix premières minutes, c'est un ballet entre la caméra et les personnages, puis soudain, la guerre fait son apparition, le chapiteau est bombardé et nous sommes jetés directement dans la froide réalité de l'époque. Puis, on nous présente notre antoganiste, Franz, petit nazi névrosé, pianiste à six doigts de génie, capable d'entrevoir le futur en sniffant de l'éther (quelle idée de génie !).
Je n'irais pas plus loin dans le scénario du film, car il est plutôt classique. Je retiens surtout l'apparition d'une troupe de résistants hauts en couleur et cabossé, mené par un bossu manchot. Et là se concentre le propos du film (oui, car un film de super-héros peut avoir un propos, s'il a un peu d'ambition artistique) : un ode aux freaks, aux rejetés, aux parias, aux discriminés. Car si nos personnages ont des "super-pouvoirs", leur trait principal est leur rejet par le monde, de par leur apparence, leur caractéristique ou leur foi. Cencio est albinos, Mario souffre de nanisme (et semble-t-il d'un retard mental léger), Fulvio souffre de son hypertrichose qui le fait ressembler à une bête, Matilde ne peut avoir un contact avec autrui sans l'électrocuter et Israel, lui est juif au milieu d'un monde ouvertement antisémite. Ici, les "pouvoirs" sont aussi sources de souffrances, car ils sont liés à une mise au ban de la société.
Si le déroulement de l'intrigue est assez classique (le scénario manque quelque peu de surprise, malheureusement, mais il reste dans la moyenne haute du genre), chaque plan ou presque est porteur d'une idée. Le réalisateur semble particulièrement inspiré par les pouvoirs de son antagoniste (qui peut notamment jouer Creep de Radiohead au piano 50 ans avant sa composition), magnifiées par une séquence de vision incluant la sonnerie d'un Iphone et un kaléidoscope d'image du futur. Les séquences d'action sont particulièrement prenantes (la scène finale pourrait trouver sa place dans n'importe quel film de guerre tant elle est bien réalisée) et lisibles.
Mais le plus impressionnant reste la qualité des effets spéciaux (pratiques le plus souvent, comme le maquillage de l'homme-bête qui ne doit pas être du CGI et qui a un relief impressionnant). Par rapport à la bouillie d'effets spécieux numériques que nous sert les MCU et DCEU depuis 10, quel plaisir d'avoir une image lisible, chaude et vibrante, même lors des scènes en incluant. Par comparaison avec les budgets pharaoniques des marvelleries grises et moches, réaliser tout cela avec aussi peu de moyens est impressionnant.
Enfin, le film n'oublie pas d'être un peu dérangeant. Visuellement, avec des scènes de sexe entre l'homme-bête et une homologue féminine, avec un personnage, Mario, masturbateur frénétique (on voit un sexe dans le film, ce qui est à noter dans l'ambition d'en faire un film aux antipodes des marvelleries puritaines et aseptisées), et une scène assez flippante d'agression sexuelle (qui finit assez mal pour l'agresseur). Le film également dans le violent, avec la représentation des rafles et la cruauté des envahisseurs nazis et dans les scènes de torture de freaks par le nazi timbré. Enfin, il existe une sorte d’ambiguïté morale dans ce film. Car Fulvio, Cencio et Mario rejoigne volontairement un cirque nazi (ce ne sont pas des parangons de vertu touchés par la grâce du Bien), car ayant besoin de travailler, avant de combattre son directeur. De l'autre côté il se crée une fascination morbide, et presque de l'empathie pour l'antagoniste, haut en couleur, lâche et ambitieux, absolument divinement écrit.
Ce film est un petit bijou, un miracle dans un genre super-heroique sclérosé par des intérêts économiques surpassant les ambitions artistiques. L'ambition de ce film est de faire du Cinéma et surtout de parler de discriminations, de rejets et des dangers du totalitarisme, par le biais de ces freaks, rejetés par la société, mais se battant pour la dignité des ses plus faibles. Un vrai film de héros !