L'histoire, je croyais la connaître. Les visages, je pensais les avoir déjà vus. Les dialogues, je pensais les avoir entendus mille fois, en vers ou en prose. Roméo et Juliette. Vincent et Irène. Kathy et Tommy. Adam et Eden. Age et Patema. Je savais déjà tout de la scène et de ses coulisses, j'en étais convaincu : Vérone, Gattaca, Hailsham, Up, Aiga, peu importait le nom, c'était toujours la même petite musique Orwélienne qui résonnait en arrière-plan, et privait l'innocent de son libre-arbitre au nom d'un équilibre plus grand que lui. Elle est en haut, il est en bas, ils s'aiment, ils mentent, ils trichent, le monde se ligue contre eux, ils se perdent puis ils se retrouvent. J'ai déjà vu ce film. Je le connais par coeur. Je sais tout de ses enjeux, ses rebondissements, ses artifices, son dénouement. Pour tout dire, je m'ennuie déjà. Sans l'originalité relative de l'obstacle qui sépare les deux amants, sans doute n'aurais-je pas consenti à leur donner leur chance.
Au moins (tentais-je de me réconforter, sans conviction), j'aurais toujours quelques plans magnifiques à admirer, quelques pics de tension pour lutter contre la somnolence, et quelques répliques inspirées à méditer. Par les temps qui courent, quel blockbuster sans âme pourrait m'en proposer autant ?
Je lance le film. Pas de surprise. Il ne cherche même pas à me convaincre qu'il est unique en son genre. Au contraire, il est, au timing près, tel que je l'imagine. Construction classique : Elle, d'abord. Lui, ensuite. Et puis eux. A plusieurs reprises, je soupire, je grommelle, mais même si je n'ignore rien de ceux qui, pendant deux heures, me serviront de guides, ils sont assez touchants pour que je les laisse m'embarquer. Moins pour cette histoire de fréquences, d'ailleurs, que pour les fêlures de cette héroïne dont le handicap, à lui seul, colore l'ensemble d'une touche d'inédit. Je serais idiot de ne pas m'en contenter.
Idiot, c'est le mot juste.
Car soudain, tout bascule. Alors que l'intrigue suit un chemin balisé, dont elle passe les étapes avec un systématisme mécanique, tout à coup, le film change de fréquence. Le disque saute un sillon. L'histoire que je croyais connaître sort de ses rails. Les protagonistes, qui m'étaient tellement familiers, deviennent des étrangers. Ils ont triché, oui. Mais pas avec leurs proches, leurs règles, leur monde. Avec moi. Le film s'est joué de mes attentes. Ce n'est pas qu'il choisit subitement une autre voie : c'est qu'il n'a jamais véritablement suivie celle qu'il paraissait prendre. Il m'a manipulé. Pendant tout ce temps où, avec suffisance, je croyais le prédire, il me baladait comme une marionnette. J'aurais dû m'en douter, ne pas me laisser abuser par son long fleuve tranquille, relever les incohérences comme autant d'indices potentiels, au lieu de les excuser avec condescendance. Mais trop tard. Et tant mieux.
Si bien que c'est dans une belle apothéose qu'il se révèle successivement : dans une scène de toute beauté, d'abord. Puis dans un ultime segment qui, seul, donne son sens à l'intrigue.
Pas de "Science", ici : la "Fiction" est spéculative (et c'est tout aussi bien). Cette réalité alternative n'est, après tout, pas si différente de la nôtre. Ces gens ne sont pas aussi différents de nous qu'on voudrait bien le croire. Qu'il soit question de fréquences ou de chimie, de destin ou de machines biologiques, les interrogations demeurent :
Sommes-nous maîtres de nos existences ?
Ou, au contraire, sommes-nous tous programmés ?
Quid de notre libre-arbitre ?
Et l'amour, dans tout ça ?
On y pensera longtemps.
Le film, lui, n'a pas à se les poser. Son destin était tout tracé, mais il a suivi un autre chemin.
Do Ré Mi Fa Sol.
Joue la musique.