Tous en haine
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C’est entre les cris de désespoir et les pleurs de désolation que commence Frère et Soeur. Mais c’est surtout dans la haine. Les cris, les pleurs le désespoir, la désolation, mais surtout la haine : c’est ce qui parcourt ce film tout du long, nous étouffant toujours d’émotions trop intenses, aussi lourdes à porter pour les personnages que pénibles à regarder pour le spectateur.
La suite de l’ouverture n’est pas moins intense. Un véhicule qui roule très vite, un premier accident, un élan de générosité brisé par un véhicule qui roule trop vite et un deuxième accident, d’une violence inouïe, dont la brutalité de la mise en scène prend aux tripes. Et nous voilà obligés de recomposer une famille depuis trop longtemps déchirée par la haine d’un frère et d’une sœur.
L’origine de cette haine ? Si l’on peut logiquement accuser la jalousie fraternel lorsque celle qui brille se retrouve à devoir partager la lumière, ce n’est pas aussi simple, et l’on saura seulement que ce n’est ‘‘pas très moral d’en parler’’. Mais là n’est pas le sujet. Le sujet, c’est comment cette haine, à l’origine assez légère, presque douce et naïve (à l’image de l’horrible « Je crois que je te hais » glissé entre 2 magnifiques sourires, dont la réponse non moins hallucinante provoque un fou rire entre les protagonistes) a pu prendre tant d’ampleur dans leur vie. Si bien qu’elle en vient à les définir. Si bien qu’elle en vient surtout à les détruire, eux qui nécessitent drogues et alcools et médicaments pour survivre entre 2 crise. Si bien qu’elle en vient à détruire leurs proches, entre un frère colérique qui ne peut s’empêcher de cracher sa haine à tout ceux qu’il juge en parti responsable, de l’enfant innocent au d’un parent mourant, et une sœur non moins coupable, envenimant la situation en effaçant l’autre de son existence. Si bien qu’elle m’est difficile à supporter, moi qui ne suis pourtant simple spectateur de cette tragédie.
Avec ça, le film pourrait devenir une expérience très désagréable. Mais il a la brillante idée de nous offrir quelques moments qui, sans être totalement de répits puisque l’atmosphère reste intense et le cœur lourd, savent faire preuve de douceur, des instants suspendus dans le temps respirant. Comment ? Par une mise en scène hypnotique, magnifiant une Marion Cotillard magnétique, toute sourire, dont la délicatesse séduit autant qu’elle terrifie, tant on comprend à quel point le mal être qu’elle cache est profond. Melvil Poupaud n’est pas en reste, lui dont le charisme incroyable attire, mais dont le personnage à fait le choix inverse d’externaliser le mal qui le ronge, d’une part en abusant de tout ce qui peut faire office de palliatifs à sa souffrance (alcool et drogue en premier lieu), mais d’abord et surtout en laissant parler ses émotions, tellement fortes qu’elles le rendent – et nous rendent - fou. Deux manières de vivre avec cette haine, qui reflètent deux personnages en perte de repères, à la fois si différents, mais aussi tellement proches. Deux protagonistes qui fascinent, qui nous captivent malgré la violence dont ils peuvent faire preuve, et qui rendent tout parti pris à la fois nécessaire et impossible. Deux visions du monde, deux visions du avoir mal et du faire mal, pour un film magistral.
Alors oui, on peut reprocher une certaine bourgeoisie au film (il aimerait presque s’écouter raconter), un manque de finesse de temps à autre et certains dialogues qui peuvent s’avérer inintentionnellement comique, presque caricatural de de ce genre de cinéma français grandiloquent que l’on connaît bien : je l’admets, ces défauts existent bel et bien lorsqu’on prend du recul. Mais ce film ne s’observe pas avec recul, ne s’analyse pas ; au contraire, il se vit, se ressent, et quand il nous happe, nous éblouit et nous aveugle sur ses défauts, bien pâles en comparaison de l’intensité dont il est capable. Et c’est pour moi la marque des grands films.
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Créée
le 13 juin 2022
Critique lue 37 fois
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