Deux échecs consécutifs, deux déconvenue hollywoodiennes, Gothika puis Babylon A.D; et pour ce second, une ambition profonde et un budget non moins abyssal de 60 millions de dollars "pour faire un film à 100 millions". Dans les plus petites enveloppes se lovent bien, à l'occasion, quelques miracles techniques et artistiques, mais malheur du destin, Babylon A.D n'est ni l'un ni l'autre, ni même tout à fait regardable de l'aveu même de son équipe: c'est à pleine voix "une amusante série B", à demi-mot un désastre.
A la base, Mathieu Kassovitz veut un film "qui parle du monde", qu'on comprenne là que c'est le monde occidental et ici le tiers-monde, tout en plus gros, en plus géant. Rien de plus ne sera vraiment abordé concernant la pré-production du long-métrage, on saura juste en guise d'introduction combien son réalisateur y tient, combien le projet est démesuré en dépit des moyens alloués, puis, graduellement, comment tout à glissé des doigts de Kassovitz, au bord de la rupture, tour à tour despotique et touchant, aux prises avec une armée de zombies apathiques et comme dénués de parole qui semblent s'acharner à ne rien achever dans les temps, ou très médiocrement. Et Hollywood la pragmatique, alors, s'intercale difficilement dans cette entreprise dangereuse, toute en équilibre; son visage est celui de Vin Diesel, froid et autoritaire, faux cool de concert avec les vilains producteurs, le bien et la mal dans un affrontement titanesque.
L'histoire aurait pu s'arrêter là si, en à peine 59 minutes, François Régis-Jeanne ne redistribuait pas les cartes à plusieurs reprises. Evidemment, le résultat restera orienté, dépendant du fait que la plupart des intervenants soient français. Mais des morceaux choisis, aussi bien du tournage que des interviews, tout apparaît significatif, même lorsque le spectateur se retrouve presque pris à parti. Que ce Vin Diesel les bras ballants, venus se poser les pieds sous la table, est facile à haïr, et pourtant, dans le fond, qui dira qu'il a tort lorsqu'il pointe franchement du doigt les sévères approximations du script? Que ces producteurs, retraçant sans le dire la courbe de production du film et revoyant les ambitions stylistiques de Kassovitz à la baisse, sont d'ignobles monstres, et pourtant, après 5 semaines de coupure dans le planning de tournage, comment compenser un tel gouffre financier?
Kassovitz se balade ça-et-là les bras en croix, battant de l'air, hurlant aux costumiers qu'il veut des casques futuristes "fins comme ça avec des visières à mini-moteurs électriques" en lieu et place des casques de motos customisés avec des masques de kermesse imposés par la production, et qui seront finalement utilisés. Il perd la foi de se plaindre lorsque qu'après trois semaines de brainstorming, les décorateurs lui annoncent qu'ils n'ont pas eu le temps de lui dégoter autre chose que des skodas et des smarts pour décorer la scène la plus importante du film, tandis qu'un réalisateur de secours, Kenny Bates, venu lui prêter main forte, s'acharne à réaliser des grues sur Michelle Yeoh sans même les centrer. Et à l'image de son adorable deus ex machina, Mélanie Thierry, dont l'expertise semble être la plus lucide, parce que dénuée tout à la fois d'égo et d'inimitiés, Fucking Kassovitz porte un regard à la fois enchanté et désespéré sur ce théâtre tragique, voué à l'échec dès les premières lignes d'écriture. Une affaire de déterminisme pour un documentaire dont la nécessité est de salubrité publique, et dont la qualité est ironiquement bien supérieure à celle de son sujet: comme une mise en abîme pour parler d'un abysse.