Depuis Le Daim, Quentin Dupieux avait pour habitude de partir d'un argument scénaristique improbable et de le développer avec une logique implacable dans un environnement tout ce qu'il y a de plus réaliste. Avec Fumer fait tousser, vous pouvez oublier cette structure narrative. Oui, il aime bien déjouer notre horizon d'attente, ce sacré Quentin.
Une bande de justiciers, appelée les TABAC FORCE, dans une séquence qui est le chaînon manquant entre les Power Rangers et le sketch Bioman des Inconnus, se bât contre une tortue démoniaque qu'elle arrive à faire exploser en lui pulvérisant de la fumée de nicotine dessus (quand on vous dit que le tabac tue, bordel !). C'est un monde normal ici, dans ce film. Un monde dans lequel un chef des justiciers est une marionnette de rat, avec un liquide vert dégueu lui sortant constamment de la bouche, ayant l'impressionnante capacité de pécho des bombes. Un monde dans lequel un barracuda en latex en train de cuire peut se faire conteur. Ah oui, il y a des frigos supermarché. Et accessoirement, il y a un grand méchant qui veut détruire la Terre.
Donc, c'est uniquement un film sur une bande de justiciers qui va essayer de vaincre un grand méchant voulant détruire la Terre ? Non, parce que le tout sera entrecoupé d'histoires, racontées chacune par un personnage différent. Des histoires bien barrées, durant lesquelles l'humour l'emporte sur l'horreur par le biais d'un absurde avec un curseur poussé à son maximum. Enfin, sauf une, celle narrée par la petite fille, à base d'écologie, qui est selon tout le monde (à juste titre !) la plus terrifiante. Et pourquoi ? Ben, parce qu'elle pourrait arriver chez nous (chez nous, là, dans la réalité réelle !) sans avoir besoin de changer le plus petit élément. Les histoires de fiction ne parviendront jamais à être aussi glaçantes que les histoires vraies ou, du moins, vraisemblables.
Dupieux ne dit jamais explicitement ce qu'il veut exprimer (il s'y refuse constamment !). C'est à nous-mêmes de nous en charger. Peut-être qu'il faut interpréter cela comme une volonté de nous dire combien la fiction est essentielle pour nous échapper momentanément de la cruelle et difficile réalité (une apocalypse à affronter, ce n'est rien du tout, voyons !).
Dans l'intrigue se passant dans le monde du film, on peut y croiser des habitué(e)s du réalisateur. Alain Chabat, Anaïs Demoustier (d'ailleurs, pourquoi le cinéaste l’affuble toujours d'une coupe de cheveux ridicule ?), Benoît Poelvoorde, Julia Faure (tristement sous-employée par rapport à son talent et au potentiel du court rôle qu'elle joue !), David Marsais. Et il y a les petits nouveaux. Gilles Lellouche, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi et Oulaya Amamra. Tous et toutes sont excellents et excellentes. Tous et toutes sont charismatiques. Cela vous suffit pour la distribution ? Cela vous fait bien envie ? Ouais, c'est sûr que cela suffit à faire envie. Mais, il y a les histoires contées aussi.
Et dedans, il y a les habitué(e)s du réalisateur. Grégoire Ludig et bien sûr Adèle Exarchopoulos (au passage, après Mandibules et après Fumer fait tousser, j'exige que les producteurs de Dupieux impose à ce dernier une clause dans son contrat l'obligeant à employer dans tous ses films cette comédienne dans le rôle d'une grosse débile ; franchement, Exarchopoulos dans le rôle d'une grosse débile chez Dupieux, c'est du plaisir à l'état pur... la scène dans la piscine, MDR !). Et les petites nouvelles, Doria Tillier, pour qui l'enfer, c'est les autres, et l'hilarante Blanche Gardin, activant à fond les zygomatiques en gardant son sérieux face à des situations absurdement stupides (ah, le décalage dans le comique de situation, se comporter normalement face à l'anormal !). Tous et toutes sont excellents et excellentes. Tous et toutes sont charismatiques.
Je suis obligé d'être vague sur le scénario pour ne pas ôter le plaisir de la découverte en en divulguant un peu trop, car c'est sans cesse surprenant, sans cesse prenant. Disons qu'en dehors de la question de l'écologie, il y a comme thématiques la peur d'être seul(e) face à ses propres pensées (en gros, d'être seul(e) avec soi-même !), la machine qui broie l'être humain, notre dépendance à la technologie. Bref, dans tout ce délire jouissif, aussi bien, je le pense, à jouer pour la distribution qu'à visionner pour les spectateurs, derrière toute cette absurdité, se dissimule une angoisse sourde sur notre condition, sur notre futur, à nous, êtres humains évoluant dans un univers qui n'est pas celui d'une fiction. Ouais, quand on gratte un peu la surface, on s'aperçoit que Dupieux a un cinéma assez déprimant, l'air de rien.
Quant à retrouver la cohésion de groupe dans la bande de justiciers (oui, c'est ça, en fait, le fil conducteur principal... enfin peut-être... !), la conclusion en queue de poisson (pas de barracuda... OK, je sors !) peut être vue d'une manière ironique (ah oui, ne vous barrez pas pendant le générique de fin !).
En toute franchise, si on n'est pas allergique au style de Dupieux, qui se renouvelle encore une fois, si on consent à se laisser embarquer, ces 80 minutes particulièrement bien remplies sont un régal.