Fury commence presque comme une screwball comedy, de manière légère, avec Joe et Katherine, un couple qui semble éperdument épris l'un de l'autre mais qui doivent se séparer momentanément. Katherine doit partir loin de Joe à cause d'une opportunité d'emploi; Joe s'acharne dans son boulot pour pouvoir la rejoindre. Au bout d'un an, celui-ci s'apprête à la rejoindre, des projets de mariage plein la tête. Sur le chemin, Joe se fait arrêter littéralement pour des cacahuètes. Suspecté d'avoir kidnappé une jeune fille, Joe est enfermé le temps des nécessaires vérifications.
Mais un mensonge ayant le temps de faire le tour du monde avant que la vérité n'ait lacé ses chaussures, la rumeur de la capture d'une des kidnappeurs se repend dans la petite ville tranquille, de plus en plus déformée à mesure que les interlocuteurs se multiplient et que chacun essaye de se mettre en valeur en rajoutant des détails inexistants. La foule imbécile décide alors de faire justice elle-même.
Si Fritz Lang commence son film de manière légère, c'est pour mieux contraster la noirceur du reste de son métrage. Fury est une critique virulente d'un système judicaire lent et sujet aux erreurs multiples; une critique des mouvements de foules et du populisme, récurrente chez lui, puisqu'on ne peut manquer de penser à M le maudit par moments; critique de la violence sous-jacente qu'on peut trouver au sein de la société américaine sous ses dehors "civilisée" incarnée par les membres de cette foule et l'écart entre leur attitude lors du procès et lors du lynchage; une critique aussi de l'esprit de vengeance et de la manière dont cette volonté de nous venger nous déshumanise et nous fait oublier tout ce qui compte réellement pour nous.
Joe devient égoïste, oublie l'amour qu'il porte à Katherine va jusqu'à faire fondre en partie la bague que Katherine lui a offert pour atteindre son objectif de vengeance,...
C'est le cœur de la bassesse des hommes à travers les groupes comme les individus que Fritz Lang met sous la loupe, et n'allons pas nous mentir, le film frappe de manière assez juste là où ça fait mal.
Pour parvenir à ce résultat, Fritz Lang utilisera toutes les techniques cinématographiques possibles y compris bien entendu des scènes expressionnistes qui n'ont rien à envier à son travail en Allemagne.
Film de procès qui est aussi un réquisitoire profondément pessimiste à l'encontre de l'humanité, le genre du film et son propos étant habillement intriqués, interprété de manières stellaire par Spencer Tracy et Sylvia Sidney, mais également par tout le casting jusqu'au plus petit second rôle, et dirigé de main de maitre par l'excellent Fritz Lang, Fury est un grand film à voir absolument.
Tout au long du film, Katherine sera le personnage qui contrebalancera toute cette noirceur, c'est sa volonté de croire en la bonté qui subsiste en chacun qui fera la différence, et la toute fin laisse une lueur d'espoir sur la capacité des hommes à passer au delà de leur soif de vengeance et de mort. Peut-être qu'il y a un peu de la figure imposée du happy end là dedans, mais comme Katherine, j'ai envie de croire que nous pouvons nous détourner des sentiments les plus vils qui trop souvent nous animent pour embrasser ce qui constitue la meilleure part de ce que nous sommes en tant qu' humains.
à la manière de Joe et Katherine se retrouvant à la fin dans un baiser concluant le film
Peut-être est-ce un peu niais de croire que l'amour peut nous sauver, qu'en y croyant très fort, en plaçant une foi qui peu paraître aussi aveugle qu'absurde en l'homme, il peut se montrer à la hauteur de l'illusion qu'on se fait de lui, mais comme Katherine, j'ai envie d'y croire moi aussi.