J'ai eu un peu peur au tout début du film, que j'ai trouvé un peu long à se mettre en place. Mais ce n'étaient que des indices parsemés ci et là pour mieux nous prendre par surprise plus tard.... Fritz Lang, c'est clairement l'association parfaite (je crois que la dénomination est méritée) entre la rigueur de la mise en scène du muet, avec ses jeux de lumière et ses cadrages au poil, et la beauté du propos, un vrai discours sur la morale aux multiples facettes, absolument pas manichéen, plein de discernement.
La première partie, qui se concentre sur le lynchage du supposé kidnappeur (le côté "supposé" reviendra dans You Only Live Once), est d'une remarquable efficacité, la tension allant crescendo. La rumeur qui se propage, la foule haineuse qui se construit peu à peu telle des poules qui deviennent folles dans un poulailler (comparaison explicite à l'écran), tout est orchestré avec minutie. On notera la scène clé du barbier, même si on ne la comprend pas sur le moment : il suffit d'un rien pour faire basculer n'importe qui dans le drame.
On pensait avoir saisi le but du film quand arrive la deuxième moitié du film et la scène du procès : renversement de perspective, changement de point de vue pour la énième fois. Les bourreaux deviennent victimes et les victimes deviennent bourreaux, avec d'autres modes opératoires bien sûr. Les perspectives sont renversées et Joe (Spencer Tracy, parfait avec sa gueule de fou sanguinaire) veut se venger : si on prend fait et cause pour lui initialement, sa folie et sa violence grandissantes commencent à instiller un léger doute, un léger malaise. On est mal à l'aise, on pensait avoir identifié le "bien" et le "mal", mais il n'en est rien.
Au passage, magnifique scène, nouveau renversement des perspectives, en doublant les visages innocents des accusés de ces mêmes visages lors du lynchage, plein de haine, au milieu des flammes. Parallèle incroyablement évocateur, magnifiquement filmé dans un somptueux jeu d'ombres et de lumières.
Critique corrosive de la foule aussi bien que de l'individu (mais aussi de la police, des médias, des politiques, de la justice), et en dépit d'un happy end (commandé) qui ne trompe personne, Furie est un chef-d'œuvre éblouissant qui prend une dimension supplémentaire quand on l'analyse au regard du vécu récent de Fritz Lang himself, ayant tout juste fui l'Allemagne nazie.
[Avis brut #2]