J'ai eu un peu peur au tout début du film, que j'ai trouvé un peu long à se mettre en place. Mais ce n'étaient que des indices parsemés ci et là pour mieux nous prendre par surprise plus tard.... Fritz Lang, c'est clairement l'association parfaite (je crois que la dénomination est méritée) entre la rigueur de la mise en scène du muet, avec ses jeux de lumière et ses cadrages au poil, et la beauté du propos, un vrai discours sur la morale aux multiples facettes, absolument pas manichéen, plein de discernement.


La première partie, qui se concentre sur le lynchage du supposé kidnappeur (le côté "supposé" reviendra dans You Only Live Once), est d'une remarquable efficacité, la tension allant crescendo. La rumeur qui se propage, la foule haineuse qui se construit peu à peu telle des poules qui deviennent folles dans un poulailler (comparaison explicite à l'écran), tout est orchestré avec minutie. On notera la scène clé du barbier, même si on ne la comprend pas sur le moment : il suffit d'un rien pour faire basculer n'importe qui dans le drame.


On pensait avoir saisi le but du film quand arrive la deuxième moitié du film et la scène du procès : renversement de perspective, changement de point de vue pour la énième fois. Les bourreaux deviennent victimes et les victimes deviennent bourreaux, avec d'autres modes opératoires bien sûr. Les perspectives sont renversées et Joe (Spencer Tracy, parfait avec sa gueule de fou sanguinaire) veut se venger : si on prend fait et cause pour lui initialement, sa folie et sa violence grandissantes commencent à instiller un léger doute, un léger malaise. On est mal à l'aise, on pensait avoir identifié le "bien" et le "mal", mais il n'en est rien.
Au passage, magnifique scène, nouveau renversement des perspectives, en doublant les visages innocents des accusés de ces mêmes visages lors du lynchage, plein de haine, au milieu des flammes. Parallèle incroyablement évocateur, magnifiquement filmé dans un somptueux jeu d'ombres et de lumières.


Critique corrosive de la foule aussi bien que de l'individu (mais aussi de la police, des médias, des politiques, de la justice), et en dépit d'un happy end (commandé) qui ne trompe personne, Furie est un chef-d'œuvre éblouissant qui prend une dimension supplémentaire quand on l'analyse au regard du vécu récent de Fritz Lang himself, ayant tout juste fui l'Allemagne nazie.


[Avis brut #2]

Morrinson
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les jalons temporels de ma culture cinématographique, Mon cinéma américain, Top 10 Films alternatif, Top films 1936 et Réalisateurs / réalisatrices de choix

Créée

le 19 juil. 2015

Critique lue 647 fois

13 j'aime

5 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 647 fois

13
5

D'autres avis sur Furie

Furie
Palatina
9

And Justice for All.

Première œuvre de Lang à Hollywood, lui qui vient de quitter l’Allemagne nazie pour collaborer ici avec le tout jeune (et futur grand) Joseph.L. Mankiewicz. Le réalisateur allemand reprend un thème...

le 7 mars 2019

32 j'aime

9

Furie
pphf
7

La découverte de l'Amérique

Fury est le tout premier film américain de Fritz Lang, après son départ d’Allemagne, à la suite des pressions de plus en plus marquées exercées par le Dr Goebbels et ses séides (dont la propre...

Par

le 17 déc. 2014

23 j'aime

Furie
Docteur_Jivago
8

L'Ivresse de la Vengeance

Fuyant l'Allemagne, et après une escale parisienne guère mémorable, Fritz Lang débarque sur le sol américain en 1934 et sort, deux ans plus tard, son premier film hollywoodien, Fury où il frappe fort...

le 18 mai 2020

22 j'aime

2

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

140 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11