C'est un film de guerre atypique, sans aucun combat ni exploit héroïque, tout se joue dans un camp japonais de prisonniers britanniques à Java, où le réalisateur de l'Empire des sens s'interroge en profondeur sur l'incommunicabilité entre 2 civilisations que tout oppose. Ce propos rappelle un peu le Pont de la rivière Kwaï dont ce film est l'antithèse, on y retrouve en effet un commandant de camp japonais à la discipline de fer qui s'affronte avec un officier anglais christique, sauf que cet affrontement est différent et se transforme en un chassé-croisé quasi amoureux qui est transcendé par une étrange perversité. Lorsque j'avais vu ce film en VHS il y a bien longtemps, j'avais trouvé ceci assez dérangeant par endroits ; ayant eu l'occasion de le revoir récemment en replay, ça m'a fait le même effet.
La confrontation est forte, les 2 hommes, inconsciemment attirés l'un vers l'autre, s'observent et se menacent au milieu d'une sous-tension où apparait un rituel sado-masochiste habillant leur relation homosexuelle, rythmée par des scènes sanglantes (tortures, prisonniers battus, hara-kiris, décapitations, brimades sévères). Et quand ces 2 soldats sont incarnés par David Bowie et Ryuichi Sakamoto (qui est un artiste au Japon aussi célèbre que Bowie), cette étrange perversité prend un sens encore plus troublant. Bowie est un androgyne blond, martyr donc désirable, il souffre donc il est beau.
En principe, ce n'est pas le genre de film que j'affectionne, de plus c'est parfois pénible par quelques longueurs contemplatives, le réalisateur s'abandonne à une caméra paresseuse et n'hésite pas à insérer des flashbacks freudiens parfois pénibles. Mais malgré tout ça, cette relation troublante et ce jeu de regards entre Sakamoto et Bowie sont au final suffisamment forts pour que je m'y laisse prendre, Bowie y livre sans doute sa prestation la plus intéressante au cours de sa période cinématographique, même si son rôle de broussard destiné au départ à entrainer des guerilleros, s'avère peu crédible ; il faut avouer qu'il est ici particulièrement beau comme un dieu, ça doit jouer aussi dans le processus d'appréciation de ce film dont la musique composée par Sakamoto est grandiose. A noter qu'on y découvrait dans le rôle du sergent Hara, Takeshi Kitano alors inconnu du public occidental.