Gabriel et son égo
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Ce film ressemble beaucoup à Into the Wild. Un jeune homme, éduqué, cultivé, en quête d’autre chose, est parti voir le monde. Imprudent, il en est mort. Et on en a fait un film. Cette fois-ci, il s’agissait d’un Brésilien, blanc de peau, parti voir le Kenya, la Tanzanie, la Zambie et le Malawi, avant de commencer un nouveau cycle de ses études d’économie dans une université de Californie. Cycle qu’il n’entamerait finalement jamais. Il est mort, comme on le voit à l’ouverture du film, sur les pentes du magnifique mont Mulanje, sommet du Malawi. Sans guide, son vaste territoire condamne le voyageur à l’errance et à la déshydratation. Un carton nous apprend ensuite que l’on va revenir soixante-dix jours en arrière, et on découvre le jeune homme, plein de vie, attablé chez une famille kenyane. Une grande originalité du film, dans son mode de production, est d’avoir pris pour acteurs les hommes et les femmes qui avaient vraiment rencontré et connu Gabriel, des années plus tôt. Dans bien des cas, le réalisateur, ancien camarade de Gabriel en classes d’économie, a appris à ces Tanzaniens et à ces Zambiens la mort du jeune homme qui avait plus tôt croisé leur chemin.
Tout semblait donc réuni pour faire planer la mort et les larmes sur ce film, pour montrer en Gabriel un homme déjà condamné, que le destin s’apprêtait à précipiter. Mais ce n’a pas été le choix de Fellipe Barbosa, très attaché à donner une image aussi fidèle que possible aux événements. Le film, dans son fond, comme nous l’a confié le réalisateur après la séance, se rapproche en fait du documentaire, tandis qu’il exhibe la forme longue (127 min) et élégamment photographiée d’une fiction. Ainsi, tout ce qui peut faire pressentir la mort de Gabriel se résume à l’insouciance avec laquelle il gravit d’autres montagnes comme le Kilimandjaro, sans équipement et sans porteurs. Dans une fiction, les personnages méritent toujours un peu leur mort. Il faut, souvent, qu’elle soit juste, justifiable. Alors qu’ici, l’imprudent gravisseur de montagnes rappelle beaucoup l’imprudent mangeur de patates sauvages d’Into the Wild. Mort surprenante et toujours un peu décevante, qui ne relève pas vraiment du destin d’un esprit brillant promis à de belles réalisations.
Avec ce propos hybride de documentaire fait à la manière d’une fiction, le film était donc particulièrement risqué. En effet, j’en ai parlé dans ma critique de Rodin, la vie d’une personne réelle ne se prête pas automatiquement bien à une mise en fiction. Elle n’a pas de raison naturelle de se construire comme un arc narratif dramatique ou comique. Mais c’est peut-être le cas de ces quelques mois de la vie de notre personnage. Car Gabriel et la Montagne réussit tout à fait bien à tenir en haleine le spectateur, sur ses deux heures, nous attendrissant avec la copine de Gabriel venue lui rendre visite, nous faisant beaucoup rire de ses rencontres improbables et de la chasse au lapin sabre au clair avec des Massai. Gabriel privilégie toujours les rencontres honnêtes et le partage avec ses hôtes, loin des circuits touristiques, et le film nous propose une réflexion sur la difficulté à tenir cet engagement quand on est dix fois, cent fois plus riche que son interlocuteur. On a même droit à une discussion aussi technique que passionnée entre Gabriel et son amoureuse, celle-ci défendant les économistes hétérodoxes dans le cadre du développement du Tiers-Monde. Gabriel lui oppose ses vues libérales laissant peu de place à l’intervention de l’Etat. Fellipe Barbosa nous a expliqué qu’il ne comptait pas passer sous silence le fait que son ami était de droite. Même si ça semblait aller complètement à l’encontre de ce qu’incarnait le personnage. Toujours dans ce souci de fidélité avant tout.
En somme, un beau film touchant qui embrasse une large variété de thématiques et d’esthétiques. Sans se hisser, dans aucune des directions qu’il emprunte, au niveau du chef-d’œuvre.
Créée
le 12 juin 2017
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