A la base, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh réalisent en 2015 un pur film de commande sur la cité Gagarine, inaugurée en 1963 par le cosmonaute soviétique. Le film dressait le portrait de différents habitants en mettant déjà en scène le personnage de Youri. Après deux courts-métrages remarqués (dont Chien bleu en 2018), le duo se lance dans la réalisation d'un long basé sur leur premier court-métrage. La situation est alors différente, puisque cette fois-ci la cité s'apprête à être démolie en août 2019. L'occasion de tourner une dernière fois avant qu'elle ne soit réduite en cendre.
Gagarine montre le passé de la cité avec un rayonnement à son inauguration, avant d'enchaîner sur ce qu'elle est désormais. Une ruine sentant fort l'amiante, rafistolée comme certains le peuvent, avec son lot de trafics (symbolisés par le personnage de Finnegan Oldfield) et dont pas mal d'habitants ont baissé les bras et se demandent s'il ne faudrait pas partir vers des jours meilleurs ailleurs. Un seul semble encore y croire : le fameux Youri.
Idrissa Diabaté laisse sa place à Alseni Bathily dans le rôle de ce jeune homme dont la seule existence repose sur un rêve impossible. Il essayera dans un premier temps de remettre la cité en état, mais rien n'y fera. Alors reste cet espoir improbable, celui de faire de Gagarine un temple de cosmonaute : un vaisseau spatial. Le spectateur peut facilement être en empathie avec ce héros seul contre tous, au rêve fou mais pas si anodin. Gagarine est son monde et il s'écroule sous ses yeux. Il essaye de recoller les morceaux, mais il ne peut pas sauver tous les meubles. Sa seule attache est une fille qu'il aime (Lyna Khoudri), un ami (Jamil McCraven) et sa famille, sa mère l'ayant abandonné. Et encore là aussi tout est relatif.
Youri est un héros combatif dans une situation où il est donné perdant d'avance et c'est ce qui rend le film si émouvant. Gagarine est un film amer où l'aspect science-fictionnel tient du rêve au sens propre comme au figuré. Ce qui donne de très belles scènes, mais aussi un sentiment d'impuissance partagé avec le héros.
Gagarine ne se pose pas comme un film à charge, mais il se sert très bien de la réalité pour alimenter le drame qu'il décrit. Il montre surtout un héros dont le rêve se brise petit à petit. A cela se rajoute la poésie du premier amour, se manifestant par une simplicité aussi incroyable que monter sur une grue en pleine nuit. La complicité entre Bathily et Khoudri fait mouche très rapidement, avec des petits pas devenant grands. On peut en dire autant de la relation entre Youri et le personnage de Farida Rahouadj, véritable mère de substitution.
Gagarine s'apparentait au départ à un film de genre, il est au final un très beau film sur l'espoir où le genre sert avant tout de rêverie poétique, alimentée par la superbe photographie de Victor Seguin (déjà présent sur les courts des réalisateurs).