Film né pour mériter à son auteur le prestige d'avoir lui aussi illustré l'histoire de la nation américaine, Gangs of NY souffre à mon sens de cinq défauts principaux :
Avec pour toile de fond le New-York des années 1860, le film fait la part belle au côté documentaire. Immigration, enrôlement de force pour la guerre de Sécession, inégalités sociales, scandales et corruption, émeutes, lynchages de Noirs, et répression féroce, la dimension documentaire se superpose au scénario plus qu'elle ne se confond avec. La fresque historique finit même par se détacher presque complètement du scénario. Au final, on se retrouve face à un doc - buster qui manque d'unité.
Si l'on en croit wikipédia, le film a utilisé environ 850 000 objets d'époque. Décors, costumes, et même accent des acteurs, sans compter les photos et documents d'époque, ce louable souci de reconstitution porte en lui le vice de nous faire gober d'autant plus facilement une version tronquée de l'Histoire. Dépassant la subjectivité que l'on pourrait lui concéder, Scorsese noircit volontairement le tableau et manque cruellement de nuances. Cet aspect est remarquablement traité dans cet article. La fidélité historique revendiquée par le film se situe donc plus au niveau des apparences que des idées véhiculées par celui-ci.
Dans ce cadre historique sujet à discussion, Amsterdam (L. di Caprio) cherche à venger son père (L. Neeson), chef d'un gang d'immigrants Irlandais tué 16 ans plus tôt par le chef des Natifs (D. Day-Lewis), surnommé Le Boucher. Ce dernier prend Amsterdam sous sa protection, avant d'en faire son bras droit.
Entre Amsterdam, son nouveau "père" et l'amante commune (C. Diaz), c'est une banale histoire œdipienne, mixant attraction et répulsion, pulsion de mort et pulsion sexuelle. Qui plus est, les personnages sont bien trop superficiels, en particulier Amsterdam (di Caprio). Noyées dans le décorum à rallonge du film, toutes leurs actions sont ultra prévisibles, car codées par un schéma conflictuel vieux comme le monde.
Le côté affligeant, c'est qu'Amsterdam n'arrive pas à la cheville de son défunt père, que le Boucher lui-même décrit comme "le dernier homme d'honneur". Et Amsterdam lui donne raison, en tentant de le tuer avec bêtise et lâcheté. Le combat final ne relèvera pas le niveau.
La platitude du scénario se double donc d'un personnage sans relief, dont le charisme aurait dû supplanter celui du Boucher, mais qui ne nous offre rien de plus que le visage d'un jeune couillon dont on ne sait pas pourquoi il a besoin de s'acoquiner avec son pire ennemi pour pouvoir tenter ensuite de le tuer.
A l'instar de la pertinence historique, la cohérence n'est pas le point fort du film.
En dehors des combats, le Boucher, chef des Natifs, n'est entouré quasiment que d'Irlandais. C'est peut-être pour mieux souligner que tous les "lapins morts" se sont transformés en ... moutons, mais comme Amsterdam après tout.
Autre point : bizarrement, pas plus que les Irlandais à sa solde, le Boucher n'est capable de reconnaître le rejeton de son ancien rival. Et il est bien trop clément de ne pas l'achever quand il le tient sous son hachoir. "Il n'est pas digne de mourir de mes mains", ça ne colle pas pour un Boucher.
Pour couronner le tout, Marty nous gratifie d'effets de style douteux et fait parfois dans la surenchère. Morceaux choisis :
- les ralentis des gens qui meurent quand l'armée tire sur la foule ;
- les copains du Boucher puis d'Amsterdam qui chargent tour à tour, seuls contre une rangée complète de soldats.
Même isolées, ces scènes larmoyantes ou ridicules achèvent la crédibilité du film.
Je ne détaillerai pas les quelques points positifs d'un film étouffé par autant de défauts structurels, mais je ne peux conclure sans souligner la prestation remarquable de Daniel Day-Lewis, qui éclipse de son aura le fade Léonardo.