Dans l’Inde des années 1960, Ganga Harjivandas, qui rêve de devenir comédienne, s’enfuit avec son amoureux pour Bombay. Il lui a promis que sa tante pourra l’aider à débuter sa carrière cinématographique mais une fois arrivés, il la vend à un bordel. Prisonnière de sa condition de travailleuse du sexe, consciente que sa vie vient de basculer définitivement, Ganga décide de prendre son destin en main.
Biopic librement inspiré de la vie de Ganga Harjeevandas, le film de Sanjay Bhansali, malgré son sujet dramatique, évite les écueils du misérabilisme et du pathos sans pour autant minimiser la violence et l’âpreté des conditions de vie des prostituées. Là où un autre réalisateur aurait pu s’engluer dans le sordide, Sanjay Bhansali suit la trajectoire de son héroïne, son émancipation, sa reconquête. Piégée, comme tant d’autres femmes, dans son bordel, sans possibilité de retour à sa vie "d’avant" dans une société ou le poids des castes, des traditions, ne permet aucune échappatoire, Gangubai va transcender sa situation affirmer sa dignité et celle de ses sœurs. Dignité qu’elles n’ont jamais perdue et dont elles débordent puisqu’elles "la vendent chaque soir à des hommes qui n’en n’ont pas".
Le film suit donc le parcours de Gangubai, interprétée sans fausse note par Alia Bhatt, son ascension sous la protection d’un parrain local, sa lutte pour améliorer les conditions de travail et faire reconnaitre les droits des prostituées, comme l’accession à la scolarité pour leurs enfants. Son combat pour la légalisation de la prostitution la mènera même à rencontrer Nehru, le premier ministre indien.
Le grand mérite du film de Sanjay Bhansali est de donner une identité à ces travailleuses du sexe. De les restaurer, à travers la parole et le combat de Gungabai, dans leur honneur de sœurs, de mères, de femmes qui leur est souvent dénié.
Cependant l’esthétisme sans faille du film, la sororité magnifiée et le charisme d’Alia Bhatt ne doivent pas faire oublier qu’à 60 années de là, la réalité n’est pas aussi feutrée. Des femmes continuent d’être vendues. Les conditions de vie des prostituées, souvent mises en scène avec un certain glamour dans le cinéma probablement parce que mises en scène par des hommes, ne se sont pas améliorées. La violence, la maladie, la drogue sont le quotidien de ces femmes toujours marginalisées. Le quartier de Kamathipura, théâtre de l’histoire, plus délaissé que jamais en est la preuve. La lueur éphémère des projecteurs cinématographiques en accélèrera peut-être la requalification.
Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur Gangubai Kothewali, un chapitre de "Mafia queen of Mumbay" de Hussen Zaidi, l’auteur de "Black Friday" qui a été adapté par Anurag Kashiap, lui est consacré.