« C’est bête, commente laconiquement Maxime (Pier-Luc Funk), qui tente de séduire à nouveau Charlotte (merveilleuse Noée Anita, entre enfance préservée et féminité vibrante...) en lui déployant les fastes d’un pique-nique. On a du vin, mais pas de tire-bouchon ; et du fromage, mais pas de couteau ! » Tels sont les adolescents peints par le réalisateur québécois, Philippe Lesage : un corps d’adulte, toute la saveur qui y est enclose, une âme, des sentiments qui s’y bousculent en masse, mais pas l’outil de leur bonheur, la clé qui leur permettrait d’accéder à toute cette richesse.
À travers les personnages de Charlotte et de son demi-frère, légèrement cadet, Guillaume (l’acteur québécois Théodore Pellerin, une révélation), Philippe Lesage peint la difficile « genèse » de l’amour, d’abord en tant que ciment dans le couple qui se cherche : combien une phrase malheureuse, lancée, de façon bravache, en étendard de la sacro-sainte indépendance, sera cher payée, expiée jusqu’aux ultimes péripéties. Il dévoile la fragilité cristalline du lien amoureux, frangible au-delà de toute raison, mais aussi la tristesse de la chair, si par hasard le blessé d’amour tentait de se réfugier en elle.
Guillaume, et l’internat dans lequel il poursuit sa scolarité, offrent l’occasion d’une plongée dans le monde confiné des institutions scolaires, lorsqu’elles tiennent lieu à la fois de famille, d’instance éducatrice et de source culturelle. Dans un discret brouillage délibéré des époques, visant à empêcher tout relativisme décennique, le réalisateur revisite, avec tendresse, humour, et un brin d’impertinence, les liens particuliers qui se tissent entre les élèves résidents, mais aussi entre eux et des enseignants devenus comme des seconds parents, à la fois estimés, aimés, mais aussi chahutés ou amicalement bousculés. Chez les jeunes gens livrés à eux-mêmes, s’élabore secrètement, comme à l’aveugle, une genèse du sentiment amoureux, cherchant à tâtons la forme qu’il prendra et vers quels objets il se tournera.
Portée par une musique pop et aérienne aux harmonies par moments presque religieuses, la caméra de Nicolas Canniccioni glisse avec fluidité parmi ses sujets, n’hésitant pas à privilégier le personnage dont elle suit les mouvements, à le distinguer entre tous, à l’élire, quitte à livrer au flou un entourage dédaigné. Posée sur ses héros comme un regard amoureux qui refuserait de s’en détacher, elle se montre réactive, presque sensible, lorsque, par deux fois, elle zoome brusquement sur Charlotte au moment où celle-ci se trouve interpellée par celui qui ne cesse de la reprendre dans ses filets. Mimétisme de prédation entre le mouvement de l’objectif et celui des protagonistes.
Ce long-métrage tout en sensibilité et vulnérabilité, ce qui n’empêche pas qu’il soit porté par une fougueuse ardeur vitale, se referme, dans son dernier petit tiers, sur une charmante coda qui pourra surprendre, tant elle effectue une cassure nette sur le plan des personnages et de l’intrigue. Abandonnant Charlotte et Guillaume à leur destin, le scénario adopte le mode de progression des saumons, qui n’hésitent pas à remonter les cours d’eau pour perpétuer l’espèce. On se retrouve ainsi dans un camp de vacances pour pré-adolescents, où l’on accompagne l’approche mutuelle, aussi pudique qu’hésitante, de deux jeunes amoureux, Béatrice (Emilie Bierre) et Félix (Édouard Tremblay-Grenier, qui, comme Pier-Luc Funk, jouait déjà dans le précédent long-métrage du réalisateur, en 2016, « Les Démons »). On songe à « L’Argent de poche » (1976), de Truffaut, et à la rupture marquée avec la suite Doinel. Un retour à la genèse de l’amour, à ses premiers pas, lorsque le sentiment jette ses premiers feux, à l’état brut, et lorsqu’il n’est encore rattaché au corps que de manière très ténue, presque impalpable, alors que l’érotisme attend encore sagement à la porte avant de faire son entrée en scène...