Il y déjà ce travelling du début, qui donne le ton survolté, gai et rebelle du film : une jeune mariée court à perdre haleine pour rejoindre son amour et filer ensemble à moto en hurlant des je t'aime. Ce brun couple latin, c'est Nil et Lucky, qui s'aiment d'un amour impossible, sont nés de deux familles rivales, l'une turque, l'autre gitane.


Ce sont ces deux clans que nous allons suivre : Gatlif les installe aux abords d'une cité des Pyrénées Orientales, terre sèche et ensoleillée gorgée d'Espagne, terrains vagues jonchés d'entrepôts graffés où zonent des bandes de gamins oisifs, gentils délinquants à la petite semaine, qui ne pensent qu'à s'amuser. La musique envahit l'atmosphère de ses notes métisses, entre hip-hop, mélopées orientales et guitares andalouses : un grand shoot de sud ensorcelant et joyeux, que surplombe la présence de Céline Sallette.


Elle incarne ici Géronimo, Cheyenne aux yeux d'azur, une éducatrice spécialisée chargée de faire l'arbitre entre tous ces esprits bouillonnants qui veulent désormais en découdre : il y a une affaire d'honneur à régler - la mariée s'est enfuie avec un autre, délaissant celui auquel elle devait s'unir.


S'engage alors un western moderne, un road-trip ardent, qui jamais ne verse dans un quelconque manichéisme ou ne se vautre dans un sentimentalisme de bas-étage. Sallette impose - comme à son habitude - son jeu de haute voltige, impeccable de vérité, tout en nuances, de peu de sourires mais qui sait si bien se glisser dans ces rôles d'écorchée vive à fleur de peau, sorte de Madone qui ne vit que pour les autres.


Western donc, où les rixes nocturnes sont autant de spectaculaires battles de breakdance, où s'entrelacent cris furieux de guerriers amateurs, démonstrations de flamenco et jets d'anathèmes rhétoriques : la mise en scène, inspirée et flamboyante, rend parfaitement bien l'ambiance à la fois joyeuse, violente et passionnée de cet univers où le respect de l'honneur familial tient lui de religion.


La bande-originale est absolument magistrale et agit comme une charmeuse de serpents qui vous enveloppe et vous entraîne dans un tourbillon à mi-chemin entre réalisme social à la Kechiche, drame familial allègre à la Chat noir, Chat Blanc et scènes à couteaux tirés, flingues prêts à shooter à la Audiard.


Gatlif filme très bien les corps et les regards - cadrages serrés sur les bras de ces frères qui s'entraident, sur ces amoureux expansifs qui se roulent dans les vagues (la belle sensualité déployée...), regards noirs vengeurs et emplis de défiance : tout cela est juste, beau, romanesque, parfaitement incarné par des acteurs qu'on dirait sortis d'un documentaire et qui nous transportent.


Je n'oublierai pas de sitôt cette scène de mariée qui s'échappe dans ce champ de roseaux en fleurs, la délicatesse de ces plumes duveteuses, légèrement agitées par le vent, qui frôlent sa peau nue sous un soleil blanc et calme...C'est ce que j'ai aimé également dans ce film : son sens de la poésie, sa photographie délicate et solaire qui alterne les tonalités, tantôt douces, tantôt vitaminées.


Un vrai de vrai feel-good movie qui fleure bon la fureur de vivre, porté par une Sallette au sommet de son art sensible, à la maison comme jamais et qui, au beau milieu de ce joyeux bordel, apporte la touche de solennité nécessaire - cerise sur le gâteau qui achève de faire de Géronimo un très grand film.

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le 4 sept. 2016

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