L'amour n'est pas tant que ça.
Dans Gertrud, en tout premier, il y a ce noir et blanc très gris ; une mollesse aristocrate s'étale sur le contraste, un brouillard gris pâle s'étend sur les sentiments de nos héros ; un avocat, un poète, un musicien ; désagréables et sensés, ils errent dans l'immobilité permanente, droits et sérieux, engoncés dans des rôles plus étroits que leurs costumes. Les mouvements sont lents, difficiles, la caméra les suit pourtant, imperceptiblement, à la recherche d'une parfaite immobilité.
Et bien que tout ici soit si gris, personne ne semble s'en rendre compte, personne ne remarque cette surexposition permanente, cette brillance partout au dehors. Tout ce qui brille, ici, c'est Gertrud. Ah, Gertrud et son coeur malade, son coeur débordant, son coeur incompris ; pauvre Gertrud, écrasée par trop d'amours ; ils sont tous là, eux aussi. Chacun à la recherche de sa part de Gertrud. Un morceau perdu, un morceau rêvé, un morceau incompris ou qui n'a peut-être jamais existé. Ah, Gertrud, tout cet amour, tous ces amours, où cela te mènera-t-il ? Regarde autour de toi, le ciel ne brille plus, il n'y a que plus ces lumières étranges aussi perdues que toi dans l'obscurité.
Peut-être que toutes ces lumières ce n'est que dans ma tête ; il y a bien un souvenir, heureux : une pièce extra-lumineuse, la caméra virevolte autour d'une autre Gertrud, et retombe dans son immobile et larmoyante grisaille. Dreyer a vieilli, ici il n'y a terriblement pas de miracle, des constats et de regrets, peut-être une touche de rêve.
[Il fallait bien faire une critique, l'autre vous en raconterait presque trop ; mais les passionnés de l'Amour sont toujours un peu comme ça.]