"Des fois, je me demande si je ne suis pas déjà morte et si ce que j'appelle "moi" n'est en fait qu'une personnalité artificielle faite d'un corps mécanique et d'un cyber-cerveau."
"Où vais-je aller ?! Je me le demande... Le réseau est si vaste..."
"la mémoire ne peut pas être définie mais elle redéfinit l'humanité "
Telles sont les questions désarçonnantes que laisse entrevoir la trame du récit. Ghost In The Shell, œuvre fondamentale de la mouvance cyberpunk tirée du manga éponyme de Masamune Shirow est fascinante, contemplative, et introspective
Elle aborde avec humilité la condition humaine et les questions métaphysiques qui s'y rattachent , mêlant cogitations ontologiques et transhumanistes. GITS brille par son ingéniosité en évitant les allégations ou quelconques inférences , au contraire il esquisse les prémices d'une réflexion, donne des pistes, mais surtout explore la perception de l'être face à sa création.
L'an 2029,
Cet univers futuriste dans lequel les rapports sociaux s'exercent sous le joug de la sujétion technologique, voit le Major Motoko Kusanagi s'interroger de manière existentielle , sa quête identitaire résonne comme un écho à la déshumanisation inexorable que symbolise le Puppet Master à l'avènement de l'ère technologique. Entité issue du cyber espace, se situant à l'apogée de la convergence technologique et cherchant à s'arroger une domination sur toutes choses afin de s'élever pour pouvoir comprendre ce qui l'entoure, il s'agit là de transcender l'humaine condition comme Enée en descendant aux Enfers.
Dans l’œuvre de Shirow, la partie pensante qui pourrait s'apparenter à l'âme, est nommée le "Ghost", la substance pensante comme nous la décrirait Descartes est associée au" Shell", le corps cybernétique. L’héroïne engendrée par ce processus est Motoko Kusanagi. Elle démontre les signes d’une psyché humaine en remettant en cause son existence, ses pensées, et la nature de son être, en s’interrogeant sur son Ghost et la possession de ce dernier, est-elle humaine ? Est-elle machine ?
Ici réside la première difficulté :
l'homme est un être doué de conscience c'est le signe de son humanité, Motoko se perçoit immédiatement de manière intuitive, et c'est en se reconnaissant qu'elle acquiert cette connaissance de soi et de son individualité, qui lui permettent d’accéder à la pensée, au caractère intrinsèquement humain qui lui est propre. C'est en ayant cette démarche réflexive qu'elle parvient à s'émanciper et à se réaliser.
La dissociation entre le Ghost et le Shell se fait prégnante chez Motoko, elle représente une dualité de l'être qui est explicitée notamment par son reflet, ( qu'il soit dans l'eau ou dans la vitrine du magasin ). Essaie-t'elle de pénétrer la perception qu'elle a d'elle même afin d'en saisir son identité, son moi, cette évidence qu'elle recherche inlassablement.
Se fait jour la seconde difficulté, corollaire de la première :
Quelles sont les frontières du transhumanisme et par conséquent de l'humanité, dans un monde où l'on dote les humains de capacité qui leurs permettront de prolonger leurs longévité. La mort n'a peut être pas de nécessité biologique, en cela l'immortalité s’avérerait être une simple continuité qui privilégierait la réplication à la reproduction. Cette volonté de cybernétisation, d'optimisation physique et biologique à laquelle se soumettent les humains, cette propension à laisser s'installer en eux des modifications en disent long sur l'ambition transhumaniste qui les anime, en mettant tout en œuvre pour échapper à leurs mortelle condition, et ainsi obvier à l'inéluctabilité du sort en se débarrassant des contraintes biologiques qui sont les leurs.
Mais l’abus de ces technologies déshumanisent proportionnellement le greffé. Un humain trop amélioré, voire dépourvu de corps biologique peut-il garder ce titre ? En l'occurrence l'absence de corps biologique chez Motoko, remet-elle en cause son humanité?
Tout paraît irréel, désincarné, la rupture anthropologique s’annonce imminente, tandis que l'humanité s’évertue à prouver l’existence d'une ère nouvelle qui nierait l’obligation d’un antagonisme entre l’organisme synthétique et le vivant, le Major Kusanagi, enfantée de cette contre-utopie, n'est ni humaine ni machine. Elle serait plutôt un être à mi-chemin entre les deux, préfigurant l'émergence d'un genre nouveau, transcendé. Une question substantielle apparaît alors : L'hybridation serait-elle le commencement de l’évolution?
Motoko porte en elle toute la mélancolie des tourments d'un monde déchu, enveloppée d'un corps artificiel à la beauté plastique lascive et équivoque, qui pour manquer d'authenticité n'en a pas moins de grandeur sombre et tragique, et parce que, profondes pensées engendrent résignation morose et douloureuse , recueillons précieusement cette ode sonore que nous livre Kenji KawaÏ.
L'humanité se fera-t-elle, victime irraisonnée de cette quête mortifère d’immortalité?