Il m’aura fallu un peu de temps pour voir ce film, que j’attendais avec impatience, tant Martyrs avait été une révélation pour moi. C’est toujours délicat de juger un film par rapport à son prédécesseur, mais nous ne pouvons pas non plus faire l’impasse sur le travail du réalisateur, comme s’il n’existait pas. Sans tomber dans l’idée qu’un artiste ne peut pas dévier de sa trajectoire, qu’il ne peut essayer et changer, nous pouvons tout de même attendre que la qualité soit au rendez-vous. Ici, ce n’est pas tant qu’elle n’y est pas, c’est seulement que…Il y a eu Martyrs avant. Et cela à rendu un peu fade Ghostland. Si ce film avait été réalisé par n’importe qui d’autres, j’aurais adoré. Parce qu’il a énormément de qualité, mais il lui manque ce souffle, cette patte poisseuse et désinvolte de son grand frère. Pour autant, il n’est pas mauvais, il a un certain nombre de qualité et se laisse apprécier.
Amateur du genre, vous serez ravi de constater qu’ici sont repris énormément des codes du cinéma d’horreur, des peurs enfantines (et infantiles ?) qui ont traversés le cinéma de ce genre depuis des décennies. Et ils sont particulièrement bien portés à l’écran, non plus comme nécessité mais bel et bien comme illustration d’une horreur plus grande, sinon différente. L’esthétique est….volontairement désuète et poussiéreuse, figée dans une autre époque, dans d’autres mœurs. Passez le pas de la maison et vous voilà transporté dans un autre siècle. Ancienne et sombre, comme pouvaient l’être les vieilles bâtisses de nos grands-parents, la famille semble elle-même s’arrêter un instant d’évoluer, de vivre. Et une des forces de Laugier c’est de mettre en avant des femmes, ici une mère et ses deux filles. Et surtout des duos de femme. Force et faiblesse. Nul besoin de vous rappeler que Martyrs est également un film où la femme, sa force, sa condition, sa faiblesse, son incroyable complexité est mis en avant. Et quand c’est bien fait, c’est plutôt agréable. Mylène Farmer nous offre une prestation tout à fait surprenante, juste, un peu éthérée, fragile et incertaine bien que tenace. Crystal Reed/Emilia Jones ainsi que Taylor Hickson/Anastasia Phillips nous offrent également des prestations incroyables. Leur forces sont…différentes, il y un réel lien entre elles et l’attachement qu’on leur porte est sincère. Vraiment. Quelques idées sont également présente, comme le passage à l’âge adulte de l’héroïne, de la peur que cela engendre. Comme si finalement, nos rêves et nos chimères ne pouvaient être guère plus que des souvenirs et non plus des refuges. Un antagoniste transgenre peut aussi poser la question de l’acceptation de soi, de ses valeurs et désirs, dans un lieu reculé.
Mais du coup, c’est là où le bâts blesse. Parce que les antagonistes sont justement frustrés sexuellement. Ils sont peut être même frustrés dans tous les aspects de leur vie. Nous sommes assez loin de la gratuité de la violence de Martyrs, de son implacable froideur, de sa mécanique qui répond d’avantage à un « travail » qu’à une pulsion. Pour faire une analogie, Martyrs est d’une beauté, glaciale et aseptisé digne du milieu hospitalier. Ghostland est plutôt dans la veine chaude, glauque et poussiéreuse, mais plus vivante. Du coup, c’est comme si on tombait dans un film d’horreur convenu et gentillet, qui, si au début donnait le sentiment de maitriser les codes, fini par tomber dedans sans vraiment trop savoir pourquoi. La violence demeure, et c’est toujours quelque chose d’impressionnant quand il s’agit d’enfant, ou ici, d’adolescentes, mais ça reste extrêmement épisodique. Et ces rares moments n’ont même pas la chance d’être porté de manière suffisamment percutante et choquante pour nous marquer. Du moins, pas aussi choquante que ce que l’on attendrait de Laugier. La narration à manqué d’ambition, le film joue sur un tableau en deux temps très fin, très délicat et franchement intéressant. Sauf que trop rapidement on nous retire cette satisfaction, non pas pour nous en priver temporairement, mais bel et bien pour ruiner le doute que cela aurait pu continuer de générer. La fin quant à elle…j’avoue qu’elle ne m’a pas laissé un souvenir marquant. Disons qu’elle non plus, n’est pas à la hauteur.
Autre petite remarque un peu à part. Le choix de prendre Lovecraft comme référence est toujours très ambitieux, mais ici, c’est à mon sens manqué. Au-delà du simple référent, cela donne le sentiment d’avoir un ensemble pompeux et incompris de son œuvre. Comme pour justifier "in utero" la qualité interne du film. Peut-être eue-t-il fallu maitriser son intervention avec plus de subtilité, sinon de cohérence.