A Couteaux tirés, solide et rafraîchissant whodunit de 2019, ne pouvait profiter de son succès tranquille. Rian Johnson rempile derrière la caméra avec Daniel Craig devant, dans un épisode complètement indépendant si ce n'est le détective. Rien à dire du coté réalisation, Rian Johnson est un excellent artisan. En dehors d’un ou deux plans extérieurs à la lumière chelou, les images sont belles, le rythme est maîtrisé, le réalisateur tire très bon parti de l’ensemble du décor. Un soin minutieux est apporté aux éléments de décor et de costumes, et on salue les petites trouvailles visuelles ou auditives comme le « gong des heures » qui ajoute cette loufoquerie clichée des nouveaux riches. On note aussi l’excellente scène de coupure de courant, où le phare vient balayer de lumière crue la scène, transformant le palace en jeu d’ombres.
Là où le réalisateur et scénariste s’éclate c’est dans cette critique des nouveaux riches, majoritairement issue de la tech et d’internet. On retrouve avec délectation une mise en scène de l’avidité, la vulgarité et de la petitesse humaine, où les relations interpersonnelles ne sont rien face au gain individuel et égocentré.
Mais l’oignon est bien transparent côté écriture. Ce n’est pas tellement l’intrigue en elle-même ou le manque de crédibilité de certaines — car l’ensemble développe un univers où la suspension de crédulité s’accommode de ces écarts, comme l’ouverture de la boîte — mais c’est malheureusement l’ensemble de la galerie de personnages qui ne fonctionne pas. Dans A couteau tirés, et dans nombre d’histoires d’Agatha Christie, les personnages, bien qu’extravaguant et différents les uns des autres, sont tous liés par une unité de lieu (une maison, un train), d’évènement (un crime dans le passé, une tempête…), ou par les liens familiaux ; ce qui explique leur réunion et leurs interactions. Mais dans The Glass Onion, les personnages, dont les caractères ont été poussé à l’extrême en leur retirant toute subtilité et toute profondeur, n’ont rien, mais alors rien à faire ensemble. On ne croit pas une seconde à la formation de ce groupe d’amis hétéroclite qui serait resté liés à travers les années. Par conséquent toute la dynamique de groupe, la majorité des interactions tombent à plat. Il y a ça et là de très belles punchlines — comme celle de Benoît Blanc sur la confusion entre spontanéité et vérité — mais globalement les personnages ont l’air d’être dans un même lieu mais pas ensemble.
Par ailleurs le twist en milieu de film ne fait qu’augmente notre distanciation émotionnelle. Sans aucun indice pour nous mettre dans une connivence, et sans réelle répercussion sur l’intrigue principale, il n’a pour effet que ne nous dire que les 20 dernières minutes ne servaient à rien, tant sur le plan de l’intrigue que sur le plan émotionnel. Le film s’éloigne définitivement du policier, sans aucun suspense.
C’est donc un oignon mi-figue mi-raisin, qui réussit l’aspect technique, la critique de l’opulence et pose une très belle exposition, sans compter des acteurs vraiment enthousiastes dans leurs rôles ; mais déçoit dans son déroulé final. Ce qui me rassure, c’est que Rian Johnson conçoit ses films de manière séparés, anthologiques. Et comme j’aime un film sur deux chez lui, je peux espérer que le 3e volet des aventures de Benoît Banc me passionnera davantage.