Certains réalisateurs - notamment scandinaves, il faut bien le dire - ont une fâcheuse tendance à croire que pour faire un bon film d'auteur, il faut et suffit de faire des travellings interminables qui vous laissent le temps d'aller aux toilettes et d'être revenu avant la scène suivante, de couper les scènes (pourtant interminables) avant qu'on ait pu comprendre ce qui se passait, et de mettre le spectateur mal à l'aise avec une violence sans fondement apparent, des personnages pervers et un étalage de désespérance. Il faut qu'il ressorte de ce "feel bad movie" persuadé que le mal triomphe toujours du bien, et que quand on part prêcher l'amour, on se retrouve à appliquer et subir la haine. Ce qui est aussi simpliste que la thèse inverse.
Certes, les bons sentiments ne suffisent pas à faire de bons films (voir ma critique d'Une Vie cachée), mais les mauvais non plus. Certes, la vengeance, l'adultère, la trahison, la jalousie, la folie et le désespoir sont d'excellents ingrédients pour une bonne intrigue, et il y a des centaines de chefs-d'œuvre qui ne parlent que de cela. Mais encore faut-il que les ingrédients soient bien employés et que l'intrigue soit bonne, qu'elle ne soit pas gâtée par une accumulation d'incohérences, de contradictions, d'invraisemblances. Encore, chez Ruben Öslund, est-on pris par une logique implacable à laquelle on semble ne pas pouvoir échapper et par un humour grinçant qui rattrape beaucoup de choses. Mais ici, comme chez Lars von Trier, on n'a rien de cela, et la méchanceté des personnages est tellement énorme qu'ils en perdent toute complexité, toute subtilité, toute vraisemblance. On ne comprend pas les ressorts de la haine que voue le protagoniste à l'homme qui lui a fourni les chevaux et l'a accompagné dans son périple, on se pince en entendant un pasteur luthérien dire que Dieu est un magicien, on a du mal à rejoindre l'apparente évidence que ces paysages sublimes, cette puissance de la nature, conduisent à la folie et au meurtre, quand quasiment tous ceux - ermites, aventuriers, marcheurs - qui ont pratiqué ces grands espaces et leurs rudes habitants ont fait l'expérience inverse. Peut-être est-ce de passer des hivers sans presque voir le jour qui leur donne des idées noires, mais Dreyer ou Bergman le disaient avec plus de finesse.
Ce qui pourrait surprendre encore davantage, c'est la pâmoison des critiques, qui ne doivent pas avoir mieux compris ces incohérences mais qui ont peur que ça se sache. Mais cela n'est pas nouveau et Andersen, un autre scandinave, qui était un génie, lui, l'a fort bien décrit : tous les courtisans s'extasient devant les habits neufs de l'empereur, jusqu'à ce qu'un enfant, ignorant ce qu'il fallait admirer, s'écrie "mais il est tout nu, le roi !"