Avec son esthétique colorée et son ton déluré, Golden Eighties reprend les formules habituelles de la comédie musicale : on alterne entre la parole et le chant, les jeunes et les vieux se racontent leurs amours avec le même enthousiasme, tout le monde est beau et souriant. Pourtant, ce huis-clos de galerie marchande n’a rien de romantique, avec son organisation optimisée pour favoriser la consommation et son ciel couvert en-dessous duquel les foules se bousculent. Alors que les taxes augmentent et que les clients diminuent, les intérêts privés sont indissociables de l’amour ; Lili est devenue patronne de son salon de coiffure en séduisant M. Jean, le propriétaire. Le personnage incarnant le mieux cette confusion est sans doute M. Schwartz, qui travaille avec sa femme dans une boutique de prêt-à-porter, et qui conclut le film en comparant l’amour au désir d’une robe : “[Il faut que le cœur aime !] Si ce n’est pas l’un, c’est l’autre ! Il faut bien que tu achètes une robe, tu ne peux pas courir toute nue dans la rue ! Si les gens sortaient tous nus, on ne ferait plus d'affaires !” En plus de ce parallélisme évidemment critique, le film comporte une touche de noirceur à travers le personnage incarné par Delphine Seyrig, qui s’avère être une rescapée des camps. D’ailleurs, elle s’appelle Jeanne, comme dans Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, laissant supposer quelque chose de plus dramatique derrière son attitude joviale et son dévouement au travail.
Malheureusement, le pari de Golden Eighties tombe à l’eau tant il s’avère théorique. Le film utilise les relations légères et sans conséquence comme une façon d’aborder le néolibéralisme, mais la comédie musicale étant un genre qui cultive l’artificialité, les éléments liés au message politique sont trop secondaires pour véritablement convaincre. Prenons le personnage de Jeanne : si l’on peut penser qu’elle reste avec son mari par intérêt parce qu’il tient la boutique, son personnage n’est pas assez développé pour en être certain, et finalement, peu importe si elle est une rescapée des camps tant cet élément est peu abordé. Il en va de même pour Lili, que l’on pourrait voir comme une figure tragique obligée de se prostituer pour s’élever socialement, mais aucun élément ne vient contrebalancer son rôle de séductrice outrancière clichée. On a presque l’impression que le message politique pourrait se retrouver dans n’importe quelle comédie musicale tant il est difficile de dissocier les éléments inhérents au genre de ceux relatifs à la réalisatrice.
Dès lors, on se retrouve face à un film trop théorique pour être efficace, rappelant l’esprit pop de la Nouvelle Vague sans en retrouver la virulence, la fraîcheur, ou l’interrogation entre le fond et la forme. Malgré quelques touches mélancoliques réussies, avec cette jeune femme attendant impatiemment le retour de son mari parti faire fortune en Amérique, le film peine à traverser le temps car c’est davantage le produit d’une époque avant d’être une véritable réflexion politico-cinématographique. Néanmoins, la réalisatrice pousse assez loin le bouchon de la comédie musicale kitsch avec un décor inhabituel et des personnages risibles pour passer un bon moment, même si le film aurait sans doute gagné à aller bien plus loin dans ses intentions premières.