Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour. (Friedrich Nietzsche)
Qu'on aime ou pas ce 17ème opus des aventures de l'agent double zero, et la première incarnation du personnage par Pierce Brosnan à l'écran, nul ne peut lui contester d'avoir pris des partis radicaux vis-à-vis de l'héritage de cette saga emblématique!
Tout d'abord, Goldeneye se situe à la fois dans le prolongement et dans la rupture des deux films mettant en vedette Timothy Dalton. Cela est visible dès sa scène d'ouverture qui s'apparente à une scène d'action encore plus longue et plus démentielle que celle de "Tuer n'est pas jouer". Le film joue clairement la carte du too much, dans la droite lignée des "actionners" de l'époque.
Pourtant, je parlais de rupture, et c'est un autre aspect qui saute aux yeux lors de cette séquence d'introduction: l'écriture privilégie clairement l'humour décomplexé et une caractérisation des personnages outrancièrement caricaturale- à l'exception d'un personnage sur lequel je reviendrai. De fait, ce double registre annonce la couleur des prochains Bond à venir sous l'ère Brosnan. Alors certes, les précédents se permettaient à l'occasion certains moments comiques, même dans le viscéral "Permis de tuer"... Cependant, le jeu d'acteur de l'interprète de Bond et le détournement des codes du film d'espionnage indiquent clairement que le ton sera plus léger... Sans pour autant sombrer dans la parodie. En effet, si l'ambiance reste assez bon enfant, ce dernier ne renie pas non plus les ingrédients de la recette: le spectacle est assuré par des cascades chorégraphiées à la perfection, l'intrigue comporte pas mal de moments sérieux (enjeu gouvernemental, géopolitique, etc...), une phase d'enquête assez prenante bien qu'un peu longuette notamment à cause des innombrables trahisons et coups de théâtre, une visite de lieux exotiques qui a l'avantage de savoir quand tirer parti du décors, et des répliques bien senties. Mais la dérision ne va jamais à l'encontre du scénario, les enjeux conservant toujours une certaine gravité!
Ce coté plus sérieux vient surtout d'un personnage inattendu au sein de la franchise: Alec Trevelyan. Cet antagoniste fait presque figure d'ovni dans cette mécanique bien huilée, et son apparition influera durablement, en témoigne les derniers opus de l'ère Daniel Craig.
L'idée de créer une sorte d'antithèse absolue de la figure de l'agent 007, un double maléfique, est brillante en ce qu'elle force le personnage à faire face à ses contradictions. Son but n'est-il pas de servir la nation? Mais est-ce vraiment contribuer au Bien commun que d'avaler les couleuvres de son unité? Encaisser les erreurs du passé, de son gouvernement, n'est-ce pas ce pour quoi il avait signé, en contrepartie d'avoir champs libre sur le reste? Et quel champ d'action, dans un monde où les rapports de force ont radicalement évolués?
En vérité, le questionnement au cœur du film est contenu dans une seule réplique, prononcé par Trevelyan, lorsque ce dernier décide de se dévoiler à son ancien équipier:" Tu ne t'es jamais demandé POURQUOI? Pourquoi a-t-on abattu tous ces dictateurs, déstabiliser tous ces régimes? Pour que le couperet tombe?! Bien joué, excellent mais désolé l'ami! Tout ce que vous avez défendu au péril de votre vie a changé. "
En définitive, vous l'aurez compris, à partir de Pierce Brosnan, la figure de James Bond sera désormais celle d'un vétéran en proie à ses remords et à l'évolution des mentalités lui renvoyant ses propres faiblesses en plein visage. Il est intéressant de constater d'ailleurs que chaque nouvelle Némésis représentera l'un des aspects sombres du personnage ou sera liée au passé des services britanniques, comme un jeu de miroir entre Bond et le MI6: Eliott Carver et sa faculté a façonné le réel pour correspondre à ses besoins de scoop, Elektra King détruite par l'objectivation abusive de son paternel et ayant une dent contre M, et même le colonel Moon contraint de singer ce qui le répugne dans l'attitude condescendante de l'Occident et dont le perfectionniste martial et technologique vire à la démence.
Je conclurai par le fait qu'une nouvelle page s'est ouverte, à la bonne période, avec l'arrivée de Pierce Brosnan dans le rôle titre!